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En Europe, comment les multinationales réduisent leurs impôts avec l’aide des États

Il n’y a pas que les paradis fiscaux qui permettent aux multinationales de réduire leurs impôts. Une étude, publiée mardi, détaille la différence qui existe entre le taux d’impôt officiel sur les sociétés et l’imposition réelle en Europe.

Taxer davantage les géants du Net. C’est l’objectif du ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire, qui a annoncé, dimanche 20 janvier, qu’un projet de loi en ce sens “entrerait en vigueur dès cette année”. Mais la France devrait peut-être penser à faire le ménage dans son code des impôts avant de penser à créer des nouvelles taxes. C’est ce que suggère une étude sur le taux effectif de l’impôt payé par les multinationales dans les 27 pays européens, publiée mardi 22 janvier par Petr Jansky, spécialiste de la fiscalité à l’université Charles de Prague.

Commandée par le groupe des députés écologistes au Parlement européen, ce document dépeint une Europe bien plus généreuse fiscalement que ce que pourrait le laisser suggérer les taux officiels d’imposition des multinationales. “Dans une majorité des pays, ces grands groupes paient au final bien moins que ce qui est affiché officiellement”, constate Petr Jansky, contacté par France 24. Pour en arriver à ces conclusions, il a puisé dans la base de données de l’ONG Orbis qui agrège les données financières d’environ 300 millions d’entreprises ayant une présence à l’étranger.

Le Luxembourg d’un côté, l’Italie et la Grèce de l’autre

La palme du grand écart fiscal revient au Luxembourg. Les données analysées par l’économiste confirment que la réputation du Duché d’être très accommodant avec les multinationales n’est pas usurpée : en façade, les grands groupes doivent s’acquitter d’un impôt de 29 %, alors qu’en réalité ils sont soumis à un taux moyen de seulement 2 %.

Rares sont les pays à rester dans les clous du taux moyen officiel de l’impôt sur les sociétés en Europe, qui s’élève à 23 %. Seuls deux pays - l’Italie et la Grèce - sont au-dessus, tandis que les multinationales peuvent espérer être taxées à moins de 10 % de leurs revenus dans cinq pays : Luxembourg, Bulgarie, Hongrie, Chypre et Pays-Bas. Et les grands donneurs européens de leçons fiscales ne sont pas en reste. En France, comme en Allemagne, l’écart entre le taux d’imposition nominal et le taux effectif est de 10 points ou plus.

Ces différences ne proviennent pas de fraudes fiscales ou d’accords secrets comme ont pu en conclure le Luxembourg ou l’Irlande avec des géants du Net, tels qu’Apple ou Amazon. “Il s’agit de provisions légales qui permettent de réduire l’assiette d’imposition. Par exemple, en investissant dans la recherche et développement, une multinationale peut, dans certains pays, parvenir à réduire son imposition”, précise Petr Jansky.

Données imparfaites

Les travaux du chercheur démontrent aussi que la taille compte. Plus une multinationale est grande, plus son taux d’imposition est faible dans la plupart des pays. Pour Petr Jansky, tous les pays européens sont engagés dans “une compétition fiscale pour attirer les grands groupes qui tire le taux d’imposition effectif vers le bas”, estime Petr Jansky.

Il reconnaît cependant que ses résultats sont imparfaits. La faute à la base de données Orbis : “Les informations financières disponibles sur les multinationales ne donnent qu’une partie du tableau”, affirme-t-il. Le volume d’informations collectées varie notamment d’un pays à l’autre. Des différences qui peuvent expliquer certaines incohérences, comme par exemple le taux d’imposition irlandais. D’après les calculs de Petr Jansky, les multinationales sont plus imposées en Irlande qu’en France… Pourtant, les géants du Net s’empressent d’installer leur siège européen sur le sol irlandais. “C’est justement parce que des accords particuliers, comme celui entre Dublin et Apple par exemple, ne sont pas pris en compte par Orbis”, souligne l’économiste tchèque.

Cette limite pourrait disparaître, d’après lui, si les multinationales étaient obligées de publier leur rapport financier pays par pays. Un point également soulevé par les eurodéputés écologistes, à l’origine de cette étude. “L’UE a proposé des réformes-clés - telles que la déclaration publique pays par pays (CBCR) et l'assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés [norme européenne pour calculer les revenus imposables, NDLR] - mais celles-ci sont bloquées au Conseil par les États membres”, souligne le groupe parlementaire européen des Verts.

Une pique adressée, notamment, à l’Allemagne qui s’est jointe à d’autres États comme le Luxembourg ou l’Irlande pour s’y opposer. Berlin soutient qu’un détail pays par pays des revenus des grands groupes nécessiterait de rendre publiques des informations stratégiques sensibles, susceptibles d’être exploitées par la concurrence. Mais en attendant, ce manque de transparence ne permet d’avoir qu’une vision imparfaite des recettes fiscales qui échappent aux États européens. Les travaux de Petr Jansky prouvent, en tout cas, que lorsqu’il s’agit d’évoquer l’imposition des grands groupes en Europe, se référer aux taux officiels est loin de reflèter la réalité.