Emmanuel Macron a reçu vendredi un rapport sur la restitution du patrimoine africain, qui préconise une restitution rapide des œuvres d’art pillées par la France coloniales. Le chef de l'État vient d'envoyer un symbole en rendant 26 pièces au Bénin.
La réponse de l'Élysée au rapport Savoy-Sarr sur la restitution du patrimoine africain ne s’est pas fait attendre : Emmanuel Macron a décidé vendredi 23 novembre de rendre "sans tarder" 26 œuvres réclamées par le Bénin. Juste après avoir reçu le rapport des mains de ces auteurs. Rédigés par deux universitaires français et sénégalais, Bénédicte Savoy et Felwinn Sarr, ce document commandé par le président Français en mars 2018 propose un changement radical du code du patrimoine français pour permettre une restitution des œuvres d’art pillés par la France en Afrique pendant les conquêtes coloniales. En vertu du droit français actuel, ces œuvres ne peuvent quitter le territoire français.
Mais l'introduction d'un article qui prévoirait des restitutions d'objets africains transférés pendant la période coloniale française dans le cadre d'un "accord bilatéral" entre "l'État français et un État africain" pourrait changer la donne. Les deux universitaires proposent donc une restitution en trois phases à partir de la date de la remise du rapport jusqu'à novembre 2022.
"L’Afrique est à un pas de son histoire. On va enfin pouvoir accéder à nos œuvres’’ s’est réjoui sur France 24 la présidente franco-béninoise de la Fondation Zinsou, Marie-Cécile Zinsou , qui est en première ligne du combat pour le retour des œuvres en Afrique.
Le rapport dresse un inventaire d'une partie des dizaines de milliers d'objets que les colons ont rapporté d'Afrique entre 1885 et 1960. Au moins 90 000 objets d'art d'Afrique subsaharienne sont dans les collections publiques françaises. Plus des deux tiers des objets d'art se trouvent au Quai Branly dont des sculptures Dogons du Mali et les célèbres statues anthropomorphes venues du Bénin.
Rapport complètement "inapplicable"
C’est d’ailleurs ce pays d’Afrique de l'ouest qui avait suscité la polémique en réclamant officiellement à la France en juillet 2016 les trésors pillés. Mais le Quai d’Orsay durant la présidence Hollande avait d'abord opposé une fin de non-recevoir estimant que ces biens culturels étaient “soumis aux principes d’inaliénabilité, d’imprescriptibilité et d’insaisissabilité". Avant qu’Emmanuel Macron lors de son discours en novembre 2017 à Ouagadougou ne promette d’y travailler. Le président français est donc appelé à trancher sur un dossier complexe. Faut-il rendre à l’Afrique son patrimoine culturel, au risque de voir les musées en France se vider, et surtout de raviver débats et blessures sur fonds de colonisation ?
À Ouagadougou, le président français avait alors reconnu que l'Afrique avait droit à son patrimoine. La démarche est ainsi accueillie comme un acte de justice, mais aussi comme une boîte de Pandore, avec de multiples complexités et chausse-trappes potentiels. Des voix se sont d’ailleurs élevées dans le rang des marchands de l'art et des collectionneurs pour dénoncer un rapport complètement "inapplicable".
Selon l'avocat spécialisé Yves-Bernard Debie, opposé aux restitutions, "ce rapport est inopérant, [car] aucun marchand d'art africain ancien n'a été consulté". Même son de cloche chez Alexandre Giquello, de la maison de ventes Binoche et Giquello, spécialisée dans les collections d'art primitif. Selon lui, "90 % des biens africains ont été achetés, offerts, échangés, troqués [et sont souvent détenus] d'absolue bonne foi".
"Il ne faut pas croire aujourd’hui que les musées français vont se vider. Que ça va être l’hémorragie des collections", explique sur France 24 Marie-Cécile Zinsou [aussi historienne de l'art et une entrepreneuse franco-béninoise dans l'art]. "Ce qui est intéressant dans la proposition de Bénédicte Savoy et Felwinn Sarr, c’est comment nous allons travailler à table avec les États africains et réfléchir ensemble à la façon dont l’Afrique peut récupérer une partie de son patrimoine", ajoute-t-elle.
Le musée du Quai Branly n’a pas souhaité commenter le rapport avant une réaction de l’Élysée et du ministère de la Culture. L’établissement accueille plusieurs millions de visiteurs chaque année. Nous y retrouvons, Sophie et Audrey, Françaises toutes les deux qui reviennent depuis peu de Nouvelle-Calédonie où elles ont passé respectivement deux et trois ans. Elles ont un avis partagé sur la question de la restitution. "C’est bien de restituer. Mais c’est comme si on devait s’excuser, alors que cela s’est passé, il y a plus de cent ans", dit la première. "Au musée, en Nouvelle-Calédonie, il y a des pièces intéressantes, mais elles ne sont pas autant mises en valeur qu’ici. Si les œuvres repartent en Afrique, les pays concernés vont-ils pouvoir les mettre en valeur ? On a peur que les pièces soient dégradées", affirme Audrey.
"L’entretien de notre patrimoine, ça nous regarde"
Ces différentes préoccupations de Sophie et Audrey ont été souvent relayées par des détracteurs de la restitution des œuvres. "Mais les Français ne peuvent pas poser des questions de conditionnalité sur la façon dont on entretient notre patrimoine, cela nous regarde nous. On est des États souverains et on gère comme on veut. J'entends bien les gens qui s'élèvent contre ça mais le problème c'est qu'on ne peut plus regarder l'Afrique de la France de manière condescendante, paternaliste et post-coloniale, il y a un moment où il faut changer de regard. C'est symbolique cette restitution d'objets, mais c'est ça qui va changer le regard", affirme Marie-Cécile Zinsou à l’AFP.
Côté Bénin, les autorités sont satisfaites de la conclusion du rapport. Le pays qui a été le premier à lancer le dossier s'est félicité que "la France aille au bout du processus, entérinant une vision nouvelle entre elle et ses anciennes colonies". "Nous ne sommes pas dans une démarche de réclamation brutale [mais] dans un processus d'accompagnement", indique Ousmane Aledji, chargé de mission du président béninois Patrice Talon pour les projets culturels et touristiques. En anticipant, une probable restitution des quelque 3 000 œuvres présentées par le Quai Branly, le Bénin prévoit la construction à partir de mars 2019 de quatre musées modernes.
Certains pays africains bien avancés semblent même être prêts en terme d’infrastructures pour accueillir les œuvres. Comme le Sénégal, dont à peu près 2 000 œuvres sont dans les collections du Quai Branly, selon le rapport Savoy-Sarr. Le pays inaugure le 6 décembre, le Musée des civilisations noires. L’institution qui s’étend sur 14 000 m2 compte emprunter quelques œuvres au musée du Quai Branly ainsi qu'au Muséum d’histoire naturelle du Havre. "La restitution est logique et normale. Les détenteurs des objets pris sans consentement n’en sont pas les propriétaires légitimes. Le Sénégal est prêt à accueillir ces objets", déclare au journal Le Monde, le ministre sénégalais de la Culture, Abdou Latif Coulibaly.
"Que les objets viennent et qu'ils repartent, ça ne nous pose pas problème, mais nous voulons avoir accès à ces objets", comment pour sa part la directrice du musée des civilisations de Côte d'Ivoire, Silvie Memel Kassi. "Ce n'est pas un mal en soi qu'ils soient en France. Ils y ont été conservés et répertoriés. L'important est de travailler ensemble".
Au-delà de la France et de l’Afrique, plusieurs musées en Europe suivent de très près le développement de la question. Comme le note le rapport entre 85 % à 90 % du patrimoine africain serait hors du continent, éparpillés outre la France entre les puissances coloniales comme la Belgique, l’Angleterre et l’Allemagne. Contacté, le British Museum, dont les collections contiennent près de 70 000 pièces d’Afrique, n’a pas voulu commenter le fond du rapport pour le moment. "Le rapport Savoy-Sarr suscite un débat. Ce sont des histoires compliquées et une focalisation transparente sur la provenance des objets est indispensable", affirme un porte-parole du musée, qui ajoute : "Notre approche a toujours été de développer et d’établir des relations équitables à long terme pour travailler avec nos partenaires à la réalisation d’objectifs communs. Comme nous l’avons déjà signalé, le British Museum s’est engagé à prêter des objets par rotation au nouveau musée royal prévu au Nigeria, à Benin City.”