Depuis les sanctions américaines prises à l'égard de l'Iran, le mécanisme européen de contournement des sanctions risque d'être mis à mal par les exemptions accordées à la Grèce et à l'Italie. Ce qui devrait aussi entraîner la division des Européens.
La France en rêvait. C’est l’Italie et la Grèce qui l’ont obtenue. Ce sont effectivement les deux seuls États européens à bénéficier d’une exemption pour commercer avec l’Iran, depuis le rétablissement des sanctions américaines contre Téhéran début novembre.
Ces dérogations accordées par le Trésor américain, et qui concernent au total huit pays, portent exclusivement sur les échanges pétroliers. La nouvelle salve de sanctions américaines, voulue par Donald Trump, dans la foulée du retrait de l'Accord de Vienne sur le nucléaire iranien, vise aussi d’autres secteurs de l’énergie, ainsi que le secteur bancaire, la construction navale et le transport maritime.
Le choix d’exempter les deux principaux importateurs de pétrole iranien en Europe n’est pas neutre. La France, qui veut sauver l’accord sur le nucléaire iranien, "paie sa position" explique à France 24 Thierry Coville, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). "Washington veut faire payer les trois États européens qui ont participé activement aux négociations sur le nucléaire iranien dès 2003 : la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni". Même constat pour Caroline de Camaret, spécialiste des questions européennes à France 24. "Cette décision qui relève du 'deux poids-deux mesures' vise à isoler les signataires de l’accord sur le nucléaire", estime-t-elle.
Washington tend la main aux eurosceptiques
Par ailleurs, la Grèce et l’Italie sont toutes deux gouvernés par des eurosceptiques. Washington appuie donc là où ça fait mal. "Donald Trump favorise ainsi son allié Matteo Salvini [ministre de l'Intérieur et patron de l'extrême droite en Italie]", relève Caroline de Camaret. En coulisses, les concessions accordées par les États-Unis découlent d’une stratégie visant à créer une dissension au sein de l’Union européenne.
La décision de l’administration américaine intervient alors que l’UE, qui achète 20 % de la production de pétrole iranien, cherche depuis des mois à adopter une stratégie commune afin de contourner des sanctions, notamment par le biais de la création d'un système de troc. La cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, a ainsi évoqué, fin septembre, la mise en place d’un "véhicule spécial" (Special purpose vehicle - SPV), fonctionnant comme une bourse d'échanges, pour permettre à Téhéran de continuer à vendre du pétrole.
Ce fameux SPV n’existe pas encore. Annoncé pour le 5 novembre, il ne serait pas prêt avant avril car pour le moment, aucun pays européen n’est prêt à accueillir la société dédiée qui permettra de faire transiter les fonds. "Les Américains ont mis une telle pression que les États membres ont peur. Aucun pays n’accepte d’être l’hôte de ce système" indique Thierry Coville.
C’est le cas de la France. Alors même que Paris encourage la création de cette entité européenne de contournement, la Banque de France paraît réticente. Elle "ne tient pas à s’exposer" révélait les Échos début novembre.
Le mécanisme européen de contournement des sanctions tué dans l’œuf
Pour ne rien arranger, les dérogations accordées par les États-Unis pourraient menacer le projet européen. "Le SPV n’est pas prêt de voir le jour", estime Ardavan Amir-Aslani, spécialiste du Moyen-Orient et avocat d’affaires qui dispose de bureaux à Téhéran.
Par un mécanisme financier et juridique subtil, explique l’expert à France 24, les exemptions américaines obligent la Grèce et l’Italie à choisir entre d’une part bénéficier de la main tendue américaine, et d’autre part intégrer le projet européen de SPV. Autrement dit, l’existence des deux est incompatible.
Par ailleurs, la Grèce et l’Italie étant les principaux acheteurs du pétrole iranien en Europe, cela prive la future entité européenne de ses principaux clients. La plupart des sociétés pétrolières européennes, comme Total en France, ont d'ores et déjà réduit ou interrompu leurs activités en Iran pour éviter de tomber elles-mêmes sous le coup des sanctions américaines. Dans ces conditions, la décision du Trésor américain interroge une fois de plus la question de la souveraineté de l’UE, attendue au tournant.