L’AfD a lancé, jeudi, un nouveau portail internet pour dénoncer les enseignants politiquement engagé. Le parti populiste allemand assure qu’il s’agit de garantir la neutralité de l’éducation, quand les détracteurs y voient un appel à la délation.
Dénonce ton prof. C’est le nouveau cheval de bataille de l’Alternative für Deutschland (AfD). Après avoir testé l’idée à Hambourg fin septembre, le mouvement populiste allemand a lancé, jeudi 10 octobre, un deuxième portail internet pour que les écoliers et étudiants du Land de Bade-Wurtemberg (sud-ouest de l’Allemagne) puissent dénoncer les enseignants qui afficheraient leurs opinions politiques.
Cette initiative controversée vise officiellement à “défendre la neutralité de l’éducation en Allemagne”. Mais le parti populiste ne cache pas son intention première : faire la chasse aux enseignants qui critiqueraient l’AfD. “Nous recevons continuellement des témoignages d’élèves, de parents, et même de professeurs qui se plaignent d’AfD-bashing”, affirme la branche hambourgeoise du parti dans un communiqué pour justifier la démarche.
"Stasi scolaire"
Les élèves sont invités à rapporter sur ces plateformes des incidents en classe qui démontreraient qu’ils n’ont pas pu exprimer librement leurs opinions politiques ou que leur enseignant a fait passer son message politique. Pour appuyer leurs plaintes, ces dénonciateurs en culotte courte doivent joindre des preuves, comme “un examen aux questions orientées ou des supports de cours”. L’AfD du Bade-Wurtemberg pousse le bouchon de la délation plus loin que ses collègues de Hambourg en incitant les élèves à donner le nom des enseignants concernés. “Ce sont des personnes qui assument un rôle de la plus haute importance”, a justifié Stefan Räpple, porte-parole du parti pour ce Land. Il compte, ensuite, alerter la direction des écoles concernées à propos des supposés manquements à la neutralité de l’éducation.
Ces portails n’ont pas manqué de susciter de vives critiques. Les appels à la dénonciation ont rappelé à plus d’un responsable politique des pratiques en vogue durant les plus sombres heures de l’histoire allemande. “Deux dictatures en Allemagne [le IIIe Reich et le régime communiste en Allemagne de l’Est] ont aussi pratiqué le harcèlement et l’incitation à la délation de personnes en raison de leur manière de travailler”, a réagi Yvonne Gebauer, ministre FDP (parti libéral) du Bade-Wurtemberg. Le ministre de la Culture du Land de Saxe, Christian Piwarz (CDU, l'Union chrétienne démocrate de centre-droit) a dénoncé une tentative “d’instaurer une Stasi [police politique d’Allemagne de l’Est] scolaire pour créer un climat de peur et d’incertitude à l’école”. Cette volonté de créer “un système organisé de délation en dit long sur la conception de la démocratie des promoteurs de cette idée”, a enfin déploré la ministre de la Justice Katarina Barley (SPD, parti de centre gauche).
Pour les syndicats d’enseignants, l’initiative de l’AfD est d’autant plus condamnable qu’elle repose sur des enfants. “C’est une manière d’essayer de leur inculquer une culture de la délation et du rejet des avis divergents”, a réagi le GEW (Gewerkschaft Erziehung und Wissenschaft, le syndicat pour l’éducation et la recherche).
Tourner l’appel à la délation en dérision
Loin de faire machine arrière face à la critique, l’AfD a décidé de jouer la surenchère. Le parti populiste a annoncé son intention d’étendre prochainement son action à huit autres Länder, dont Berlin et la Bavière.
L’Alternative für Deutschland sait qu’elle n’a pas grand-chose à craindre sur le front juridique. Le ministère de la Justice a confirmé chercher un angle d’attaque, mais les juristes interrogés par les médias allemands sont pessimistes. Il est, en effet, difficile d’en faire une affaire de protection de la liberté d’expression, car les enseignants allemands sont tenus légalement à la neutralité politique durant leurs cours. Les élèves peuvent, d’ailleurs, déjà se plaindre directement à la direction d’une école s’ils estiment qu’un professeur ou un maître fait preuve de prosélytisme politique. L’État ne peut pas non plus se substituer à un enseignant estimant sa vie privée bafouée par une dénonciation en ligne. C’est à ce dernier d’agir et de demander à l’AfD d’effacer de leur portail les informations personnelles qui le concernent en vertu du nouveau règlement européen de protection des données privées (RGDP).
La parade la plus efficace pour les détracteurs de cet appel à la dénonciation vient peut-être des internautes qui ont décidé de tourner l’initiative en dérision. Le site allemand d’information pour enseignants, news4teachers, rapporte que des “centaines de fausses dénonciations ont déjà été envoyées à l’AfD”. Certains plaisantins ont publié sur les réseaux sociaux des captures d’écran des messages qu’ils ont postés sur le portail. “Ma fille a été placé à gauche de son voisin de droite depuis le début de l’année ! J’ai peur qu’elle devienne gauchiste. Il faut empêcher ça”, écrit ainsi une internaute. Un autre s’est plaint à l’AfD d’Hambourg que son “enfant est revenu de son cours de peinture avec des tâches rouges et vertes [couleurs respectives du parti de gauche et des écologistes] partout sur ses habits. C’est inadmissible, je vais devoir tout repeindre en brun [couleur historique du fascisme]”. Pour certains, mieux vaut rire de cette campagne d’intimidation qu’en avoir peur.