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Présidentielle aux Maldives : la défaite de Yameen rebat les cartes

Coup de théâtre : l'homme fort du pays Abdulla Yameen a reconnu lundi sa défaite à la présidentielle face à son rival Ibrahim Mohamed Solih. Une victoire qui rétablit les liens avec l'Inde, distendus depuis quelques années au profit de la Chine.

Rares sont les spécialistes des Maldives qui avaient anticipé la défaite du chef d'État sortant, Abdulla Yameen, à l’élection présidentielle, dimanche 23 septembre. "Depuis plusieurs mois, le président utilisait tous les moyens pour décourager l’opposition, contrôler la commission électorale et voler le scrutin", affirme Olivier Guillard, directeur de recherches Asie à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) contacté par France 24. L’homme fort du pays a pourtant été battu par le candidat de l’opposition Ibrahim Mohamed Solih. Méconnu du grand public, le candidat du Parti démocratique maldivien a été crédité de 58,3 % des voix avec un taux de participation estimé à 89,2 %.

La surprise est d’autant plus grande que le président sortant qui règne en maître sur l’archipel a reconnu sans difficulté la victoire de son rival. "Les citoyens des Maldives ont décidé de ce qu'ils souhaitaient. J'ai accepté les résultats d'hier", a-t-il sobrement déclaré lors d’une allocution télévisée, mettant ainsi fin à des heures d’appréhension pour les Maldiviens. "Beaucoup craignaient un recours à la force des autorités en cas de défaite", souligne Olivier Guillard.

En 2013, lors du dernier scrutin présidentiel, Abdullah Yameen s’était imposé au pouvoir après avoir fait annuler le premier tour et reporter le second. Rapidement, ce bureaucrate de 59 ans a régné de façon autoritaire en envoyant derrière les barreaux une flopée d'anciens proches tombés en disgrâce. Les autres figures de l'opposition ont dû se résoudre à l'exil, comme l'ex-président Mohamed Nasheed qui vit entre le Royaume-Uni et le Sri Lanka.

"Mettre fin à l’instabilité politique"

"C’est une bonne nouvelle pour la démocratie, souligne Olivier Guillard. Le régime était largement décrié : les Maldiviens n’avaient pas le droit de manifester dans la rue et la société civile était totalement muselée". En février 2018, mécontent d'une décision de justice qui cassait les condamnations litigieuses d'opposants, Abdullah Yameen était passé en force en imposant 45 jours d'état d'urgence, plongeant le pays dans une profonde crise politique. "L’alternance politique devrait permettre de tourner la page de ce gouvernement non démocratique, clientéliste et répressif et ainsi mettre fin à l’instabilité politique dans le pays", estime le chercheur.

Reste que le positionnement stratégique de l’archipel dans l’océan Indien lui vaut aussi d’être le théâtre d’une guerre d’influence entre Pékin et New Dehli. Si historiquement l’Inde, puissance régionale dominante dans la région, s’illustre comme son allié historique, les Maldives ont commencé à développer des liens de plus en plus forts avec la Chine. Dans le cadre de son méga projet d’infrastructures des futures nouvelles routes de la soie pour développer le commerce entre l'Asie, l'Europe et l'Afrique ("One Belt, One Road", ou OBOR), Pékin a investi massivement, notamment le pont amitié Chine-Maldives ouvert à la circulation depuis septembre. Au total, Pékin a prêté au pays environ 1,3 milliard de dollars, soit une dette égale à plus du quart du PIB des Maldives.

Rééquilibrer les rapports de force avec New Dehli et Pékin

Le président sortant Abdulla Yameen a voulu contrebalancer l'influence indienne et rechercher de nouvelles opportunités économiques. Son gouvernement a ainsi multiplié les efforts pour développer le tourisme en provenance de Chine. Effort payant : depuis 2011, la Chine est le pays qui fournit le plus de touristes à l'archipel. À l’inverse, Yameen a annulé un accord indien visant à investir dans un aéroport de la capitale en 2012, minant les relations entre les deux pays.

"La victoire de l'opposition rétablit les liens avec l'Inde", a estimé lundi l’ancien président en exil Mohamed Nasheed. "L’arrivée au pouvoir d’Ibrahim Mohamed Solih, dont le parti est historiquement pro-indien, devrait rééquilibrer les rapports de force dans la région", confirme Olivier Guillard, tout en relativisant : "Il ne pourra toutefois pas négliger Pékin, devenu le premier investisseur du pays."

Lutte contre le radicalisme islamique

Mais le dossier le plus compliqué pour le nouveau président reste sans conteste le radicalisme islamique, qui a prospéré depuis deux décennies profitant de l’ambivalence du gouvernement. Bien que traditionnellement modéré – 98 % de la population est musulmane sunnite –, les Maldives ont connu ces dernières années des violences religieuses. Plusieurs journalistes et écrivains "anti-islamiques" ont été assassinés. Ramené à son nombre d'habitants, le pays a également fourni l'un des plus importants contingents de combattants au monde en Syrie et au Moyen-Orient. En 2017, le gouvernement maldivien avait prévu de donner à l’Arabie saoudite le contrôle quasi-complet de Faafu, l’un des 26 atolls du pays, compliquant ainsi davantage la situation géopolitique, selon le site d'informations spécialisé dans les relations internationales, SJR.

Sur le terrain de la lutte contre le jihadisme, Solih, 54 ans, qui deviendra en novembre le quatrième président des Maldives depuis sa transition vers la démocratie en 2008, devrait bénéficier du soutien de l’Inde, mais aussi des États-Unis. La tranquillité des stations balnéaires populaires notamment auprès des jeunes mariés occidentaux pourrait retrouver tout son attrait.