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Le glyphosate, le dossier qui empoisonne le gouvernement

Emmanuel Macron en avait fait une promesse de campagne : l'interdiction du glyphosate, l'herbicide commercialisé sous le nom de Roundup. Mais l'amendement bannissant sa commercialisation a été rejeté le week-end dernier. Décryptage.

La nuit du vendredi 14 au samedi 15 septembre a été longue pour les députés réunis à l’Assemblée pour examiner, en deuxième lecture, le projet de loi Agriculture et alimentation. Elle laisse surtout un goût amer à nombre d'entre eux, et en particulier l’élu des Bouches-du-Rhône de La République en Marche (LREM) François-Michel Lambert, qui a vu son amendement portant sur l’interdiction du glyphosate d’ici 2021 rejeté. "J’ai été vraiment surpris qu’il ne passe pas à quatre voix près", s’indigne auprès de France 24 l’ancien élu EELV, qui se savait soutenu par un cercle de parlementaires désireux de "marquer les esprits".

"Mais, pour s'assurer que le texte ne passe pas, certains réfractaires ont profité de la fin d'une commission des affaires économiques à 2 h du matin pour rameuter les députés peu sensibles au développement durable. Ils sont venus dans l'hémicycle juste pour ce vote et ensuite, ils sont repartis", raconte le député à France 24.

Résultat : le texte échoue de peu, avec 42 voix contre et 35 pour. Pour la deuxième fois en six mois, les députés français ont rejeté l’interdiction de l'herbicide le plus utilisé au monde. Si aucune étude scientifique n'atteste de la dangerosité de cette substance, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) l’a qualifiée de "probablement cancérigène" depuis 2015. En août dernier, le tribunal de San Francisco a condamné Monsanto à indemniser un jardinier en phase terminale de cancer, qui utilisait l'herbicide.

4h20 mon amendement pour interdiction #Glyphosate rejeté à 4 voix
Des députés #LREM ont voté «Pour», comme moi ils estiment important de marquer une borne pour garantir atteinte de l’objectif
????Au gvnt et à la profession agricole d’agir pour gagner bataille contre glyphosate pic.twitter.com/3hivMgquKu

  FM LAMBERT (@fm_lambert) 15 septembre 2018

Décisions prises en amont

Plus étonnant encore, 34 députés LREM ont refusé d’interdire cet herbicide, alors qu'Emmanuel Macron en avait fait une promesse de campagne. "Sincèrement, je ne comprends pas. Quand on en parle entre nous, tout le monde veut interdire le glyphosate, mais dans les faits, certains votent contre pour suivre une directive imposée", lâche François-Michel Lambert.

Ce désaccord vient jeter le trouble au sein de la majorité. "Cette dissension au sein de La République en marche met en lumière le mode de fonctionnement de la majorité : le système de gouvernance interdit tout débat à l'Assemblée nationale", commente l'élu des Bouches-du-Rhône, qui sous-entend que toutes les décisions sont prises en amont. L’amendement prévoyait pourtant "des marges de manœuvre pour permettre aux agriculteurs de ne pas être pénalisés", précise l'élu engagé sur diverses causes environnementales depuis de longues années.

Pour le ministre de l'Agriculture Stéphane Travert, qui s'est opposé aux amendements à chaque fois, une loi n’est pas nécessaire. "La position de la France est désormais connue", et "nous souhaitons être au rendez-vous dans les trois ans" pour "répondre à l’objectif présidentiel, mais surtout à la demande de la population", a-t-il affirmé, mettant en avant la "méthode" du gouvernement : "task force", mobilisation de la recherche pour développer des solutions agronomiques, mission parlementaire. Le gouvernement entend ainsi donner du temps aux acteurs agricoles pour trouver des solutions alternatives au glyphosate.

De son côté, l’opposition s'est empressée de mettre en avant le paradoxe de cette méthode. "Il aurait été si simple de démontrer cet engagement en l’inscrivant dans la loi, souligne le député socialiste Luc Carvounas, interrogé par France 24. Les députés ne sont pas au clair." Mais selon lui, le plus triste est constater que la parole d'Emmanuel Macron vaut plus que la loi française aux regards des députés LREM : "Cela veut quand même dire qu’il y a un problème dans les institutions", souligne-t-il.

"Les députés marcheurs sont des lobbyistes"

Dès l’issue du vote, l'élu du Val-de-Marne avait dénoncé sur Twitter la victoire des lobbys. "Les députés marcheurs sont des lobbyistes, a-t-il réaffirmé. Ils le disent eux-mêmes, ils sont issus du milieu pharmaceutique car ils ont un pied dans les affaires ou veulent mettre un pied dedans, poursuit le socialiste, c’est la marque de cette majorité."

Il est 4h16 du matin, je viens de voter pour inscrire l’interdiction du #glyphosate dans la loi. Mais les députés #LREM l’ont rejeté. Bravo les lobbys! pic.twitter.com/QvK16ZT4Fv

  Luc Carvounas (@luccarvounas) 15 septembre 2018

François-Michel Lambert, lui, y voit tout simplement "une faute politique" de la part des députés LREM. "Le glyphosate aura quasiment disparu en 2021, mais il n'y aura aucun bénéfice politique pour le groupe", déplore-t-il en prenant l'exemple des néonicotinoïdes, ces pesticides "tueurs d'abeilles" bannis en France depuis le 1er septembre. Au sein de la majorité, plusieurs membres du gouvernement s’en étaient attribués les mérites, y compris le président de la République, qui avait salué "notre engagement pour la biodiversité en action", laissant penser que son gouvernement était à l'origine de la mesure. Sauf que la fin des néonicotinoïdes a été votée en 2016, sous la présidence de François Hollande.

Vous faites erreur Monsieur le Président; les pesticides tueurs d’abeilles sont interdits grâce à la loi biodiversité (votée en 2016) et non grâce à la loi #EGAlim (qui n’est d’ailleurs pas encore adoptée) #fakenews https://t.co/dYFIdizrId

  APE (@APEnvironnement) 1 septembre 2018

Reste que les députés, pour beaucoup encore dépités, estiment ne "pas avoir été au rendez-vous" sur ce dossier de santé publique, alors que sur le terrain, la population est clairement hostile au glyphosate. Huit Français sur dix (81 %) estiment qu'il faut interdire l’herbicide "potentiellement dangereux pour la santé", selon un sondage publié en octobre 2017. "La République en marche a décidé d’écouter les 22 % qui pensent que l'écologie n’est pas une urgence", regrette François-Michel Lambert.