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Bizutée par des élèves de deuxième année, une étudiante française témoigne

La pratique du bizutage à l’université, souvent associée aux célèbres fraternités américaines, n’épargne pas les facultés et les grandes écoles françaises. Une étudiante témoigne auprès de France 24 des violences subies.

Pour les étudiants français entrant en première année d’université, la rentrée est parfois synonyme de "weekend ou soirée d’intégration". Celui-ci prendra la forme d’une soirée ou d’un séjour loin du campus de la faculté, le but supposé étant d’intégrer les étudiants à la vie de leur futur établissement.

La réalité, en revanche, peut être très différente… Plusieurs universités ou écoles françaises ont fait les gros titres des journaux ces dernières années parce que leurs étudiants ont été dangereusement humiliés lors de ces séjours, qui ont viré au bizutage.

France 24 a pu s’entretenir avec l’étudiante d’une école spécialisée, située en Île-de-France. La jeune femme, qui a souhaité rester anonyme, a participé à la cérémonie d’intégration de son établissement universitaire l’an dernier. "La première activité qui nous a été proposée a été de se passer de bouche en bouche un déodorant usager. Après cela, ils [les étudiants de seconde années à l’origine du voyage] nous ont demandé d’effectuer le même geste avec un godemichet. Si l’un d’entre nous venait à refuser, ils inscrivaient des insultes au feutre sur notre front. Lorsque j’ai refusé de jouer avec le godemichet, ils m’ont fait remonter dans le bus qui nous avait acheminés là, ils m’ont conduite dans le fond du véhicule. Ils ont tiré les rideaux et ils m’ont bandé les yeux avant de me forcer à boire, alors que je ne bois jamais."

"Battue avec une cravache"

L’étudiante raconte qu’une autre partie des activités consistait à leur faire avaler des aliments avariés et des mélanges d’alcool. Elle témoigne d’un épisode encore plus violent, lors duquel les premières années ont eu les yeux bandés, puis ont été frappés à la cravache par l’un des élèves de seconde année.

L’organisation de ces cérémonies initiatiques est laissée aux mains des étudiants. Parfois, les rites sont encouragés par les institutions elles-mêmes. L’étudiante questionnée raconte dans son cas que le directeur de l’école faisait partie du voyage.

À plusieurs moments, il supervisait les activités proposées, témoigne la jeune femme qui poursuit son récit : “Ils nous ont emmené dans la forêt, où ils nous ont répartis en binômes, attachés les uns aux autres, côte à côte ou dos-à-dos. C’est le directeur en personne qui nous a lié les mains. À ce moment-là, je n’étais pas encore choquée, parce que je pensais que le but était de nous faire participer à une simple course d’obstacle. Je pensais qu’on allait s’amuser." La jeune femme va vite déchanter en découvrant les règles cruelles imposées par ses camarades. Si l’un des étudiants tombe durant la course, le binôme doit avaler une boisson dans laquelle flotte des excréments ou du poisson mort, rapporte-t-elle. "Certains des étudiants ont vomi, et s’ils ne parvenaient plus à boire, les étudiants de seconde année leurs renversaient la boisson sur la tête."

L’étudiante raconte qu’à la fin de la course, alors que ses jeunes camarades étaient sales et sentaient mauvais, les organisateurs de ce "weekend d’intégration" se sont contentés de leur donner des bouteilles d’eau pour se nettoyer. Pourtant, des douches se trouvaient non loin de là.

"Je me suis sentie très mal dans ma peau à l’école après cela et je n’ai pas osé en parler à ma famille", décrit la jeune femme. "Pour moi, ce qui s’est passé lors de ce weekend a été inacceptable. Mais la plupart des étudiants ont trouvé ça normal. Ils ont accepté de participer."

Le principe du bizutage réside dans la domination, explique Marie-France Henry, la présidente du Comité national contre le bizutage (CNCB) : "Un groupe domine l’autre. Dans ce cas, ce sont les étudiants les plus âgés qui imposent des épreuves aux nouveaux entrants. Et les nouveaux étudiants acceptent forcément, parce qu’ils se trouvent en position délicate. Ils craignent d’être exclus ou bien ils ne veulent pas se faire remarquer et ont peur de la punition qui leur sera infligée."

Forcés de mimer des scènes pornographiques

L’association de Marie-France Henry est très sollicitée pour la rentrée. Des parents appellent le CNCB pour demander en quoi consistent les cérémonies d’intégration de l’université et des grandes écoles de leurs enfants. Ils souhaitent savoir s’il y a lieu de s’inquiéter.

En France, le bizutage est pourtant interdit par la loi depuis 1998. Toute personne qui se risque à "amener une autre à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants ou à consommer de l'alcool de façon excessive" est punie de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. Malgré cela, chaque année, des affaires de bizutage éclatent au grand jour, après quoi les universités et les écoles prennent des mesures contre ces pratiques.

Cette année, une faculté de médecine de Caen a même dû organiser un stage anti-bizutage pour ses étudiants après le scandale soulevé en 2017. L’université avait alors appris que ses étudiants organisaient de dangereux rites initiatiques, après avoir découvert un site Internet listant des "commandements" de bizutage à l’adresse des premières années. Il leur était demandé, entre autres, de frotter des orties contre leurs parties génitales ou encore de harceler des passants dans la rue. Interrogés pour l’enquête, des étudiants ont raconté qu’ils avaient dû mimer des scènes de films pornographiques, d’autres ont déclaré que plusieurs hommes leurs avaient giflé le visage avec leurs pénis.

Les prestigieuses écoles ne sont pas épargnées

D’autres élèves, cette fois de la prestigieuse École nationale supérieure d'arts et métiers (ParisTech), ont été victimes de multiples brûlures causées par des cuillères chauffées à blanc lors d’un bizutage simulant une séance de tatouages. L’épreuve a été organisée sur leur campus en octobre 2017. En janvier, l’établissement a banni la pratique, connue sous le nom de "PVT" pour "période de transmission des valeurs".

Au fur et à mesure, d’autres universités et écoles françaises ont suivi. En juillet, l’Insead, grande école de commerce, a annoncé avoir suspendu sa semaine d’intégration pour les étudiants entrant en MBA après une plainte de quatre d’entre eux, forcés de participer à des rites jugés humiliants.

Certains étudiants et anciens élèves continuent pourtant de défendre la tradition du bizutage. "Je pense que ces rites forment le caractère" estimait ainsi Reshma Sohoni, une ancienne de l’Insead, dans les colonnes du Financial Times.

Dans une lettre au journal britannique, Jakub Parusinski, autre ancien de l’école de commerce, décrivait ce rituel comme un "défi à l’élitisme" qui avait aidé à "remettre" les étudiants les plus arrogants "à leur place".

Ilian Mihov, le doyen de l’Insead, a pour sa part affirmé que la santé et le bien-être des étudiants était la priorité de l’école. "Les semaines d’intégration ne peuvent pas reprendre tant que des étudiants s’en plaignent", a-t-il répondu dans une lettre adressée aux anciens les plus nostalgiques de ce genre de pratiques.

Adapté de l'anglais par Bahar Makooi