
Pendant trois jours, près d'un millier de reconstitueurs venus de 18 pays sont rassemblés à Verdun dans le cadre du centenaire de 14-18. France 24 est allé à la rencontre de ces passionnés qui font revivre l'histoire en uniforme.
Des ordres en français, des chants en russe, un vieux disque anglais, des panneaux en allemand... L'espace d'un week-end, l'ancienne caserne militaire de Miribel, à Verdun, s'est transformée en camp international. Près de 1 000 reconstitueurs ont fait le déplacement de toute l'Europe, et même de l'autre bout du monde, pour cet événement.
À l'occasion de la fin du centenaire de 14-18, alliés et ennemis d'hier se retrouvent dans une ambiance bon enfant dans cette ville qui fut pourtant l'un des symboles de l'horreur de ce conflit. Ils ne partagent pas la même langue, mais une histoire commune, celle de la Première Guerre mondiale. Par quoi sont-ils animés ? Quel plaisir trouvent-t-il à porter l'uniforme ? Galerie de portraits de ces passionnés qui font revivre le passé.
Maxence Gasbarre fait partie du campement des poilus français. Avec son uniforme de tirailleur sénégalais, il est l'une des coqueluches du rassemblement. "J'ai des origines sénégalaises. C'était important pour moi de représenter les gens de ma famille", décrit-il. À 15 ans, ce Girondin vit sa première expérience de reconstitueur. Le jeune homme a réalisé son uniforme lui-même : "C'est une capote roumaine que j'ai modifiée". La vie sous la tente dans le bivouac, le contact avec le public, les différentes cérémonies, tout lui plaît : "J'aime l'histoire. Ici, on peut échanger avec des passionnés, même d'autres pays, des Polonais, des Russes, etc. Je parle avec le plus de monde possible pour en savoir plus sur le matériel".
Ils ont fait beaucoup plus de kilomètres pour venir jusqu'à Verdun. Chris et Jacob Withoos sont originaires du Queensland, en Australie. Ce père et ce fils font partie de l'association de reconstitueurs AIF Abroad, qui a organisé un voyage en Europe. "Nous faisons un tour en France et en Belgique. Nous nous rendons sur les tombes de ceux de nos familles tombés lors de la Première Guerre mondiale", décrit Chris. "C'est important pour nous car beaucoup d'Australiens se sont battus ici. C'est très émouvant de penser à leur sacrifice. C'est un honneur pour nous de porter leur uniforme."
Raznan Sorinca porte un uniforme de l'armée austro-hongroise, mais il est pourtant roumain. "La ville d'où je viens en Roumanie, Avrad, faisait autrefois partie de l'Empire", explique-il. Cet homme au physique imposant est venu à Verdun en famille, avec son fils : "C'est lui qui m'a entraîné dans cette activité". En endossant cet uniforme, Raznan a à chaque fois l'impression de faire un voyage dans le temps. "Hier soir, nous étions à une retraite au flambeau à la nécropole de Douaumont et j'ai eu l'impression que quelqu'un me regardait depuis les bois. Un fantôme. C'était étrange. C'est comme s'il me demandait ce que je faisais là", raconte-t-il avec émotion. Ce Roumain n'aime pas qu'on puisse penser qu'il aime jouer à la guerre. Pour lui, le symbole est ailleurs : "Nous sommes ici pour nous souvenir. Cet événement n'est même pas à propos de la bataille, mais à propos de ceux qui sont morts ici ou qui ont été blessés".
"Des Polonais qui portent l'uniforme allemand. Vous trouvez cela étrange, n'est-ce pas ?" Piotr Rudnicki et Tadeusz Licq s'amusent eux aussi des frontières. "Nous représentons le 152e régiment d'infanterie allemand, qui était composé pour la plupart de Polonais", expliquent ces deux amis qui ont recréé pour l'occasion un bureau de poste militaire. "Les gens ont oublié comment on envoyait à l'époque des cartes postales. Ici, vous pouvez écrire une carte et nous la posterons de notre ville en Pologne, Malbork". Hilares, les deux compères sont très à l'aise. Ce sont des habitués des lieux. En 2016, lors d'un premier rassemblement, pour le centenaire de la bataille de Verdun, ils étaient déjà présents : "Pour la fin des commémorations, nous nous devions d'être ici, et puis, c'est fantastique. Il y a des gens tellement sympas !"
Originaire de l'Essex, dans le sud de l'Angleterre, James Gage apprécie lui aussi le côté cosmopolite de ce rassemblement : "Chez nous, lors de ce type d'événements, nous sommes surtout entre nous. Ce sont mêmes des Anglais qui portent des uniformes allemands". Cela fait plus de 20 ans, qu'il est devenu reconstitueur. "C'est un hobby qui est devenu une passion, puis une obsession", note en rigolant sa femme, qui l'accompagne. Et une activité qui peut s'avérer coûteuse : "C'est un investissement. Mon uniforme a été fait part un tailleur spécialisé. Il vaut 250 euros, mais le plus cher, ce sont les déplacements. J'en fait presque tous les week-ends". Pour James Gage, plus qu'un loisir, il s'agit d'un devoir : "Il y a une histoire à raconter, mais ceux qui l'ont vécu ne sont plus là. C'est un honneur de pouvoir le faire pour eux".
Le stand du docteur Gilbert Badei ne désemplit pas. Devant sa table, les curieux se pressent pour écouter ses explications. Instrument de chirurgie à la main, ce médecin généraliste d'Avignon raconte comment se déroulaient les opérations en temps de guerre. Tous les détails y passent. "Je suis passionné d'histoire. J'ai commencé par faire une exposition, puis j'ai racheté une collection d'objets médicaux. Cela me permet d'allier les deux", résume-t-il. Les questions affluent de toutes parts. Gilbert Badei capte l'assemblée avec ses descriptions très sérieuses, mais teintées d'humour. Il n'en revient pas de voir un tel intérêt pour ce domaine bien précis : "Les gens sont très curieux, mais j'essaie de ne pas trop faire dans le gore. C'est vrai que c'est impressionnant de montrer une amputation !"
Sous sa tente, Frank Werle est tranquillement installé derrière sa machine à écrire. Il fait semblant de taper de vieilles notes. Depuis 2014, il fait partie d'un groupe de reconstitueurs de Sarrebruck. Cette association ne se concentre pas exclusivement sur la Première Guerre mondiale, mais reproduit des uniformes de 1871 à 1918. Une passe-temps qui n'est pas toujours bien considéré dans son pays : "Quand on parle à des gens, ils ne veulent même pas écouter. Ils ont des a priori à propos des uniformes allemands. C'est vraiment plus difficile de faire ce genre de rassemblements là-bas". Le jeune homme s'est lancé dans cette passion pour honorer la mémoire de ceux qui ont combattu, mais aussi surtout pour rappeler à la génération actuelle qu'il faut préserver la paix : "Nous vivons actuellement une des périodes les plus longues sans conflit, mais la guerre peut revenir à tout moment. Il ne faut pas l'oublier".
Chantal et Thierry, un couple de Metz, ont essuyé eux aussi quelques critiques. Pour certains, les reconstitueurs paraissent bien étrange, voire inquiétant. "On pense qu'on fait la guerre, qu'on a des armes, alors que ce n'est pas du tout cela", répond Thierry, en uniforme du 2e régiment de génie. Avec sa compagne, ils se rendent de rassemblement en rassemblement depuis près d'une dizaine d'années. "Je l'ai suivi par amour. Il a vraiment une passion dévorante", précise Chantal, habillée en infirmière de la Grande Guerre. Thierry avoue qu' il se prend parfois un peu trop au jeu : "Je fais même attention à mon langage. Je n'utilise pas 'O.K.' ou des mots d'aujourd'hui. Je ne me mets pas les mains dans les poches. Tout cela, c'est finalement un respect de l'uniforme et des personnes qui se sont sacrifiées".
Dmitriy aimerait bien raconter son parcours, mais il y a la barrière de la langue. Tant bien que mal avec un mélange de français, d'allemand et de russe, il arrive à faire comprendre qu'il vient de Saint-Pétersbourg. "Nous sommes un régiment de la garde impériale. À l'époque, ses membres devaient avoir une certaine taille pour en faire partie. Ils se sont bien battus durant la guerre", décrit ce colosse russe. Derrière lui, devant une tente, trône une vieille photo de Nicolas II. Il ne s'en cache pas, lui et ses camarades sont des nostalgiques du tsar. Ils aiment ce vieux folklore teinté de traditions ancestrales. En effectuant ce voyage en France, ils ont voulu honorer l'amitié entre la France et la Russie : "Nous sommes des peuples frères".
"Mon fils a participé à sa première reconstitution à l'âge de trois mois. Il a commencé comme nourrisson !" Caroline Hecquet n'est pas peu fière de participer à ce genre d'événements avec son jeune garçon, Pierre, âgé de 14 ans. Cela fait 25 ans qu'elle s'est prise de passion pour cette activité. Mais pour elle, pas question de glorifier les combats. Habillée pour l'occasion en cantinière militaire, elle veut montrer un autre aspect du conflit : "Je présente des objets du quotidien, du tabac, du dentifice, du savon. Ces femmes les vendaient aux soldats à l'arrière pour améliorer leur quotidien. Ils ne faisaient pas la guerre tout le temps". Pour cette Nordiste de Cambrai, il est nécessaire de se souvenir de cette période : "Elle a eu un impact sur toutes nos familles. En France, nos ancêtres ont tous été touchés. Il y a eu des morts, des veuves, des orphelins. Cette fibre et cette mémoire sont restées là".