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La journée de mardi a vu la condamnation de l'ancien directeur de campagne de Trump, Paul Manafort, et le plaider-coupable de son ancien avocat, Michael Cohen. France 24 décrypte les conséquences de ces deux affaires pour le président américain.

Dure journée pour Donald Trump. En l'espace de 24 heures, le président des États-Unis a essuyé un double coup dur sur le plan judiciaire : son ancien avocat, Michael Cohen, et son ex-directeur de campagne, Paul Manafort, ont respectivement été reconnu coupable et condamné, mardi 21 août, notamment pour fraude fiscale et bancaire.

Deux affaires distinctes jugées par deux juridictions différentes. Pourtant, c'est bien la même ombre qui planait au-dessus des tribunaux d'Alexandria et de New York : celle du milliardaire républicain, dont le mandat à la Maison Blanche depuis janvier 2017 est empoisonné par les affaires judiciaires qui impliquent ses proches et menacent de l'atteindre. Notamment depuis que Michael Cohen l’a impliqué directement devant le juge.

Ces affaires émanent directement de "l'affaire russe", cette investigation tentaculaire menée par le procureur spécial Robert Mueller depuis mai 2017 sur le rôle de la Russie durant la campagne présidentielle et sur une éventuelle collusion entre des membres de l'équipe de campagne de Donald Trump et des responsables russes.

Qui sont Paul Manafort et Michael Cohen ?

Paul Manafort, 69 ans, a été directeur de la campagne présidentielle de Donald Trump durant trois mois, avant d’être congédié en août 2016. Proche des milieux d'affaires russes et du camp pro-Kremlin en Ukraine, il fut l'un des premiers proches du 45e président des États-Unis à tomber à cause de ses liens avec la Russie.

Michael Cohen, qui fêtera ses 52 ans le 26 août, est un proche du président, et fut son avocat personnel pendant plus de dix ans. Il avait un rôle de "pitbull", son surnom, chargé d'attaquer les adversaires du milliardaire. En 2015, il se disait prêt à prendre une balle à la place du grand patron et se rêvait alors en secrétaire général de la Maison Blanche. Aujourd'hui, il semble pourtant prêt à lâcher Donald Trump.

De quoi sont-ils accusés ?

Paul Manafort était accusé d'avoir dissimulé au fisc américain 16 millions de dollars qu'il avait gagnés en tant que consultant politique pour des politiciens pro-russes en Ukraine, et d'avoir menti aux banques pour obtenir un prêt de 20 millions de dollars.

Michael Cohen a, lui, avoué avoir payé 130 000 dollars à l'actrice porno Stormy Daniels et 150 000 à une ex-playmate du magazine Playboy Karen McDougal. Les deux femmes affirment avoir eu une liaison avec Donald Trump. Objectif : éviter l'ébruitement d'informations "qui auraient porté préjudice au candidat".

Que risquent-ils ?

À l'issue de près de quatre jours de délibérations, un jury composé de 12 membres a déclaré Paul Manafort coupable de deux chefs de fraude bancaire, de cinq chefs de fraude fiscale et d'un fait de non divulgation de comptes bancaires étrangers. Ce verdict reste partiel, les jurés ne sont pas parvenus à se mettre d'accord sur 10 autres chefs d'inculpation pesant sur l'ancien directeur de campagne.

Les deux condamnations pour fraude bancaire sont passibles chacune d'une peine d'emprisonnement de 30 ans. Mais plusieurs spécialistes judiciaires interrogés par Reuters estiment que Paul Manafort sera condamné à une peine d'emprisonnement d'environ 10 ans.

Michael Cohen a, pour sa part, plaidé coupable de huit chefs d'accusation, pour fraude fiscale et bancaire et pour violation des lois sur le financement des campagnes électorales. Il risque jusqu’à 65 ans de prison. Sa peine, probablement allégée après son plaider-coupable, sera prononcée le 12 décembre.

Que risque Donald Trump ?

Si la condamnation de Paul Manafort, au-delà de sa portée symbolique, n'est pas de nature à contrarier la suite de la présidence de Donald Trump, la situation est tout autre pour le plaider-coupable de Michael Cohen.

Les aveux de l'avocat sous-entendent que Donald Trump pourrait avoir lui-même commis un délit. Malgré les sommes versées à Stormy Daniels et à Karen McDougal, le locataire de la Maison Blanche a jusqu'ici nié tout acte contraire à la loi.

Michael Cohen s'est résolu à "dire la vérité au sujet de Donald Trump", et a donc "témoigné sous serment" que le président américain "lui avait demandé de commettre un crime", a expliqué dans un communiqué son avocat, Lanny Davis. "Si ces versements constituent un crime pour Michael Cohen, pourquoi ne constitueraient-ils pas un crime pour Donald Trump ?", a-t-il demandé.

"Ce sont des accusations très graves, qui reflètent un mode de fonctionnement fait de mensonges et de malhonnêteté, sur une longue période", a déclaré le procureur fédéral de Manhattan Robert Khuzami à la sortie du tribunal.

Corentin Sellin, spécialiste de la politique américaine, nuance les risques pour le président. Il rappelle que pour l'heure, Michael Cohen n'a fait que plaider coupable, sans annoncer sa coopération avec les procureurs fédéraux. Si ses accusations actuelles affaiblissent la défense de Donald Trump dans cette affaire, les conséquences judicaires peuvent rester minimes.

5)...et le plaider coupable de #Cohen va replonger #Trump dans le questionnement incessant sur la nature de sa relation avec #StormyDaniels (pourquoi a -t -il payé?) et sur les glissements permanents de sa défense sur le paiement...https://t.co/QQrIVGWrMJ

  Corentin Sellin (@CorentinSellin) 21 août 2018

Comment a réagi le président américain ?

"Je me sens très triste", a déclaré Donald Trump en marge d'un déplacement en Virginie occidentale, au sujet de Paul Manafort, un "homme bien". Il a en revanche soigneusement éludé toutes les questions sur Michael Cohen avant de se fendre d'un tweet railleur le lendemain sur Twitter.

If anyone is looking for a good lawyer, I would strongly suggest that you don’t retain the services of Michael Cohen!

  Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 22 août 2018

Le président a tenu à rappeler que cette décision judiciaire n'avait en soi "rien à voir" avec une éventuelle collusion, qu'il nie farouchement depuis des mois, dénonçant une "chasse aux sorcières". "Où est la collusion ?", a-t-il demandé à ses supporters lors d'un meeting de campagne pendant la soirée. "Ils cherchent toujours une collusion, où est la collusion ? Trouvez de la collusion !"

L'enquête de Robert Mueller sur la collusion russe est-elle confortée par ces résultats ?

Le procès de Paul Manafort était le premier émanant de l'enquête russe. Un second procès attend l'ancien directeur de campagne, le 17 septembre à Washington, pour lequel il est accusé de blanchiment d’argent et d’entrave à la justice. Ce second procès devrait permettre de préciser la nature des relations de l'ancien directeur de campagne avec la Russie de Vladimir Poutine.

Les charges retenues contre Paul Manafort concernaient certes des faits essentiellement antérieurs à 2016 et son travail pour Donald Trump lors de la campagne présidentielle, mais le verdict constitue dans son ensemble une victoire pour le procureur spécial. Comme le rappelle Corentin Sellin, cette condamnation par un jury populaire affaiblit la défense de Donald Trump, qui dénonce une enquête aux motivations politiques sur sa personne et son entourage.

14) 1 argument CENTRAL de #Trump était de dénoncer des poursuites sans fondement de #Mueller, 1 enquête basée sur du vide. Désormais, 1 jury POPULAIRE vient de reconnaître son ex-directeur de campagne coupable. Ca change tout dans le rapport de forces. https://t.co/pWgiWnm1od

  Corentin Sellin (@CorentinSellin) 21 août 2018

L'enquête du procureur spécial Robert Mueller se retrouve donc confortée. Comme le souligne The Guardian, ces victoires lui confèrent une légitimité nouvelle à s'attaquer au président en réfutant l’argument d'une cabale politique contre Donald Trump et ses fidèles. Robert Mueller peut également se prévaloir de ses résultats : selon une étude de FiveThirtyEight, sur les 10 investigations spéciales menées depuis 1979 aux États-Unis, c'est celle ayant obtenu le plus de résultats, avec quatre plaider-coupable et une condamnation, celle de Manafort, en un peu plus d'un an.