Des milliers de personnes se sont rassemblées jeudi soir en Pologne pour protester contre la promulgation de plusieurs réformes judiciaires. Ce possible déséquilibre des pouvoirs préoccupe jusqu'à l'Union européenne.
"Honte", "tribunaux libres", "nous défendrons la démocratie !" Dans la soirée du jeudi 26 juillet, des milliers de manifestations ont eu lieu dans une vingtaine de villes en Pologne pour protester contre les récentes réformes judiciaires. Les protestataires se sont rassemblés contre la décision du président Andrzej Duda de signer une mesure qui, de fait, permettra au gouvernement de choisir le prochain président de la Cour suprême, une atteinte au principe de séparation des pouvoirs, selon eux.
Dans la capitale Varsovie, la foule de manifestants s'est rassemblée aux abords du palais présidentiel en scandant "Honte!". Nombre d'entre eux brandissaient des cierges et des stylos, une allusion à la signature apposée par Duda au bas du texte de la mesure législative. "Brisez votre stylo!", suggéraient certains. "Vous finirez en prison!", entendait-on aussi dans la foule.
"Quand on touche à la magistrature, on touche à l'indépendance du pouvoir judiciaire", analyse Armelle Charrier, chroniqueuse à France 24. "Dans la réforme qui est en cours aujourd'hui en Pologne, il ne s'agit officiellement que de toucher à l'âge de la retraite des magistrats."
Une réforme qui fait peur
Les sénateurs polonais ont ratifié dans la nuit de mardi à mercredi ce projet loi sur l'élection du nouveau président de la Cour suprême, dans le cadre d'une série de réformes judiciaires qui a déjà permis au gouvernement de contrôler les tribunaux de droit commun, le Conseil national de la magistrature (KRS) et le Tribunal constitutionnel. En conséquence 23 juges, soit un tiers environ des magistrats de la Cour suprême, ont été contraints à prendre leur retraite au début du mois. Mais la présidente de la cour, Malgorzata Gersdorf, a refusé de se retirer, estimant que son mandat expirait seulement en 2020.
Varsovie défend des changements nécessaires lui permettant de se défaire de pratiques et de manières de penser héritées de l'époque communiste.
"À partir du moment où on commence à écarter un certain nombre de magistrats, notamment de la Cour suprême et qu'on commence vouloir nommer le nouveau président au lieu de mettre en place un système électoral, on touche à l'équilibre du pouvoir judiciaire et à ce que dénoncent les manifestants", explique Armelle Charrier.
Inquiétudes de l'Union européenne
Les Polonais ne sont pas les seuls à s'inquiéter des changements intervenant dans le système judiciaire au pays de Lech Walesa. L'Union européenne surveille la situation de près. Bruxelles a lancé une procédure d'infraction contre la Pologne. Elle accuse le parti le parti conservateur Droit et Justice (PiS) au pouvoir depuis 2015 de vouloir prendre le contrôle de l'ensemble du système judiciaire et de saper ainsi les principes démocratiques.
La Cour de justice de Luxembourg (CJUE), plus haute juridiction judiciaire de l’Union européenne, a rendu un arrêt important mercredi 25 juillet. Interrogée par la Haute cour irlandaise, la Cour de justice de l’UE avait à se prononcer sur le cas d’un ressortissant polonais arrêté en Irlande, faisant l’objet de trois mandats d’arrêt européens émis par des juges polonais pour trafic de stupéfiants. La plus haute instance européenne a estimé que l'Irlande n'avait pas à extrader le ressortissant si elle estimait que les principes de la justice n'étaient pas garantis dans le pays.
Guy Verhofstadt, président du groupe centriste au Parlement européen, a qualifié la décision de "signal clair à l'intention du Conseil européen pour qu'il réagisse enfin face à la mise à mal des principes d'indépendance de la justice par le gouvernement du PIS".
A ground-breaking decision by the European Court of Justice & clear signal to the European Council to finally react against the undermining of the independence of the judiciary by the PiS government. We cant leave the people of Poland alone in their fight https://t.co/GXVHQUhoEP
Guy Verhofstadt (@guyverhofstadt) 26 juillet 2018"Le problème, c'est que la Pologne n'est pas seule", analyse Armelle Charrier. "Il y a eu un tournant nationaliste en Europe, et des pays, comme la Hongrie, lui emboîtent le pas. On assiste à un bras de fer entre une Europe qui se veut nationaliste et une autre mondialiste."