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Mondial-2018 : vingt ans après la génération Šuker, la Croatie rêve plus grand

envoyé spécial France 24 à Moscou (Russie). – La Croatie, que les Bleus affrontent le 15 juillet en finale du Mondial-2018, est un petit miracle du football moderne. Vingt ans après sa demi-finale de 1998, elle conserve son ADN, un alliage de hargne, de talent et d'abnégation.

"Les Français n’ont aucune chance face à la Croatie d’aujourd’hui." Ce pronostic assuré, publié en milieu de semaine dans les colonnes du journal Libération, est celui de Miroslav Blažević, un nom passé tout près de figurer au panthéon des bourreaux du football français. Il y a 20 ans, sa Croatie n’avait plié que sous l’improbable doublé de Lilian Thuram, en demi-finale d’une Coupe du monde qui avait vu les Croates renversés par la France après avoir ouvert le score.

Vingt ans plus tard, si les Bleus vivent avec le souvenir un brin nostalgique de France 98, les Croates ont toujours dans un coin de la tête l’épopée des Boban, Šuker et autres Prosinečki. Un souvenir doux-amer puisqu’il constitue certes l’acte fondateur du football d’un pays encore tout jeune à l’époque – son indépendance date de 91 – mais aussi sa plus grosse frustration, tant l’exploit paraissait alors à portée de main.

Encore aujourd'hui, le rapport au souvenir est parfois compliqué. Si certains, comme Blažević, clament haut et fort que les Croates "voudront leur revanche", le sélectionneur actuel de la Croatie Zlatko Dalić était plus timoré au sortir de la demi-finale face aux Anglais, en conférence de presse. "Tout le monde se souvient chez nous des deux buts de Thuram, c'est quelque chose dont on parle depuis vingt ans", reconnaît-il, tout en assurant que son groupe "ne cherchera pas à prendre [sa] revanche sur 1998", mais "simplement à réaliser son meilleur match de la compétition".

Ce refus d’invoquer l’esprit de vengeance incarné par Dalić, c’est une constante au sein de ce groupe croate. Héroïque depuis le début de la compétition, le gardien de l’AS Monaco Danijel Subašić, s’en lave même carrément les mains : "Aujourd’hui, on est en 2018, c’est à nous. Il faut arrêter avec 1998… Pourquoi ? Parce qu’on est plus forts…"

#CM2018 #FRACRO « Il faut arrêter avec 98, c’est à nous maintenant !Pourquoi ? Parce qu’on est plus forts ». Joli tacle du gardien croate Danijel Subasic à l’endroit de la génération Boban, Šuker, troisième du Mondial il y a 20 ans. pic.twitter.com/Wxp9HZitoy

  ⓎⒶⓃⓃ ⒷⓤⓧⒺⒹⒶ (@y_bux) 12 juillet 2018

Difficile, sur le papier, de donner tort ou raison à "Suba", tout simplement parce que le football a énormément évolué en deux décennies. La génération croate de 1998 s’appuyait sur une ossature locale avec pas moins de six joueurs issus du Dinamo Zagreb (Prosinečki, Šimić ou Ladić, pour ne citer qu'eux), que venait compléter quelques francs-tireurs évoluant dans les championnats majeurs, comme l'attaquant du Real Madrid Davor Šuker ou le milieu offensif de Chelsea Mario Stanić.

La Croatie 2018 est à l’image d’un football qui s’est largement mondialisé. À l'exception du troisième gardien Livaković et du remplaçant au milieu de terrain Bradarić, tous les joueurs du groupe évoluent dans un championnat étranger. Au milieu, la Liga règne en maître, avec les indéboulonnables Rakitić (FC Barcelone), Modrić (Real Madrid) et Kovačić (Real Madrid). Devant, c'est sur les pelouses de Série que les Croates régalent avec Mandžukić (Juventus Turin) et Perišić (Inter Milan).

Toujours au forceps

Tout naturellement, la sélection croate et ses éléments ont épousé la trajectoire qui a fait basculer le football dans l’ère moderne : celle de la surpuissance des clubs et des transferts mirobolants. Mais le maillot à damier n’a pas abandonné ses vertus. Vingt ans plus tard, il continue de sublimer ceux qui le portent, et contribue à fondre les talents dans un collectif aux ressources incomparables.

En 1998, déjà, les Croates étaient entrés dans l’histoire du football par le chemin des écoliers. Qualifiés pour le mondial français après un barrage indécis face à l’Ukraine, ils avaient fini à la deuxième place de leur groupe derrière l’Argentine avant de sortir de huitièmes compliqués face à la Roumanie, sur un penalty de Boban (1-0). Puis, alors que la marche semblait trop haute, ils avaient atomisé l’Allemagne en quarts (3-0) avant de finalement plier face aux Bleus. Une trajectoire pour le moins sinusoïdale.

Pour la génération 2018, le parcours n’a pas été non plus de tout repos. Surprenants deuxièmes d’une poule que l’Islande a brillamment remportée lors des éliminatoires de la zone Euro, ils sont une nouvelle fois passés par les barrages, face à la Grèce. Qualifiés au forceps, ils ont ensuite survolé leur groupe de Coupe du monde en terminant devant… l’Argentine, qu’ils ont corrigé 3 à 0. Puis à l’heure des matches à élimination directe, la machine s’est quelque peu enrayée, et le caractère a pris le relais.

Poussés aux tirs aux buts en huitièmes par le Danemark, les Croates ont dû remettre le couvert pour une séance tout aussi indécise face aux Russes en quarts. En demie, ils sont même passés tout près d’y goûter à nouveau, avant que Mandžukić ne brise le rêve anglais en prolongations.

Euro-2016, traumatisme fondateur ?

Cette propension à se sublimer dans l’adversité et malgré les crampes constitue en quelque sorte l’ADN de cette sélection croate, et c’est là que se trouve le principal danger pour les hommes de Didier Deschamps. Les Anglais, qui pensaient avoir fait le plus dur à l’heure de jeu, peuvent en témoigner : même cramés, les hommes de Zlatko Dalić "renversent des montagnes".

Conscient des difficultés des siens dans le jeu face à la Russie, le capitaine Luka Modrić s’en était d’ailleurs félicité : "On a encore montré du caractère." Cette Croatie a beau être pétrie de talent, c’est par le cœur qu’elle s’en est à chaque fois sortie. Et la pire des idées serait d’aborder la finale du 15 juillet prochain avec un trop plein de confiance ou de suffisance, du côté des Bleus.

Un écueil dont les hommes de Didier Deschamps sont au moins conscient. "À l’Euro on pensait que c’était déjà fait. Quand on a battu l’Allemagne en demie, on croyait qu’on avait déjà gagné la finale.", confiait même tout récemment Paul Pogba en conférence de presse, sans filtre aucun. Que le douloureux souvenir d’une finale d’Euro perdue face au Portugal à domicile, deux ans plus tôt, soit l’événement fondateur d’un triomphe historique, c’est tout ce que l’on peut souhaiter à ces Bleus.

#CM2018 #FRACRO Paul Pogba, en conf’ de presse : « À l’Euro on pensait que c’était déjà fait. Quand on a battu l’Allemagne en demie, on croyait qu’on avait déjà gagné la finale. On a goûté à la défaite et c’est amer. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout le même état d’esprit... » pic.twitter.com/j6h7ALIQwI

  ⓎⒶⓃⓃ ⒷⓤⓧⒺⒹⒶ (@y_bux) 12 juillet 2018