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En France, des forces de l’ordre "au bord de la rupture"

Un rapport sénatorial remis mardi dresse un état des lieux catastrophique de la situation des forces de l’ordre en France et appelle l’exécutif à agir. "On est à la limite de l’implosion", prévient François Grosdidier, l’un des deux co-auteurs.

Deux sénateurs tirent la sonnette d’alarme. "Crise", "malaise général", "mal-être", "perte de sens" : leur rapport remis au Sénat, mardi 3 juillet, dresse un tableau particulièrement sombre de l’état des forces de l’ordre en France et appelle l’exécutif et la hiérarchie à réagir.

Lancée après la vague de suicides qui a endeuillé les forces de sécurité à l'automne 2017, cette mission d'enquête décrit des maux connus de tous au sein de la police et de la gendarmerie, sur fond de montée de la violence et de sous-investissement.

Pour le sénateur François Grosdidier (LR), interrogé par France 24, "de nombreux policiers sont au bord de la rupture". Pour répondre à cette urgence, il avance, avec le sénateur Michel Boutant (PS), co-auteur du rapport, 32 propositions très diverses, dont l’élaboration d’un livre blanc de la sécurité intérieure avant l’adoption de lois de programmation budgétaire pour pouvoir fixer un cap sur plusieurs années.

France 24 : Vous avez passé plusieurs semaines à enquêter sur l’état des forces de l’ordre en France. Votre constat est plus qu’alarmant…

François Grosdidier : On est à la limite de l’implosion. La police et la gendarmerie n’ont jamais été dans un état aussi dégradé. Les conditions matérielles, d’abord, souffrent d’un terrible manque d’investissements. Les locaux sont vétustes et parfois indignes. La moyenne d’âge des véhicules est de huit ans dans la gendarmerie et de presque sept ans dans la police, alors que cela devrait être leur âge maximum. Et nos forces de sécurité manquent aussi d’équipement de base et d’équipement technologique. Quant aux moyens humains, s’il n’y a pas de sous-effectifs par rapport à la population française au regard de ce qui se fait chez nos voisins, on constate que deux-tiers du temps de travail des policiers et gendarmes est consacré aux procédures judiciaires.

Vous soulignez aussi que le taux de suicide dans la police est supérieur de 36 % à la moyenne nationale. Le manque d’investissements a-t-il des conséquences sur le mental ?

Très clairement. On prend le risque d’une démobilisation de l’ensemble des forces de l’ordre. Beaucoup d’entre eux sont au bord de la rupture. Les policiers sont contraints d’agir avec moins de moyens face à une délinquance beaucoup plus violente, des manifestations de plus en plus difficiles à encadrer avec l’émergence des Black blocs et, au quotidien, une hostilité de plus en plus forte des citoyens à leur égard. En plus du problème du sous-investissement qui est institutionnel, il y a aussi le contexte actuel lié au terrorisme. Les forces de l’ordre ont été et sont toujours extrêmement sollicitées. Et la peur s’est installée parmi nombre d’entre eux depuis l’attentat de Magnanville, qui a généré un vrai syndrome en portant la menace dans leur sphère privée [l'assassinat, en juin 2016, de Jean-Baptiste Salvaing et Jessica Schneider, un couple de policiers, a été revendiqué par le groupe État islamique, NDLR].

Les policiers sont aujourd’hui en quête de reconnaissance et de sens. Lorsqu’ils prennent des risques importants et constatent ensuite que la réponse pénale est nulle ou insuffisante à leurs yeux, cela les décourage. Dans beaucoup d’autres corps de fonctionnaires on aurait rendu le tablier. Une grande majorité d’entre eux garde encore une volonté forte de servir les citoyens car c’est une vocation. Mais certains ont effectivement fini par lâcher en démissionnant ou en mettant fin à leur vie. Concernant le nombre de suicides, nous constatons qu’il reste élevé alors même que des dispositifs de prévention des risques ont été mis en place et que des instructions ont été données à la hiérarchie ces dernières années. Les chiffres auraient sans doute été encore plus catastrophiques sans ces initiatives.

Que préconisez-vous ?

Nous proposons dans notre rapport la rédaction d’un livre blanc de la sécurité intérieure, comme cela se fait pour l’armée, qui permettrait à la fois de repenser certains concepts sécuritaires qui doivent évoluer et de planifier un effort budgétaire nouveau. Il doit y avoir au moins cinq années durant lesquelles on double l’effort d’investissement pour monter de deux à trois milliards d’euros sur cinq ans. Il faut cesser de faire des investissements dans la police et la gendarmerie la variable d’ajustement de chaque gouvernement. La balle est désormais dans le camp du gouvernement. On ne pourra pas dire que nous n’avons pas tiré la sonnette d’alarme.