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La série "Fauda" sur le conflit israélo-palestinien entend montrer "le prix de la guerre"

Pensée à l’origine pour une audience israélienne, "Fauda" connaît aujourd’hui un succès international plutôt inattendu pour une série sur le terrorisme en Cisjordanie tournée en hébreu et en arabe.

En 2014, lorsque l’acteur Lior Raz coécrit le scénario de "Fauda" avec le journaliste Avi Issacharoff, il entend montrer aux Israéliens ce qu’il se passe de l’autre côté du mur qui les sépare de la Cisjordanie. "On voulait qu’ils voient comment les Palestiniens vivent, qu’ils comprennent quel est le discours de l’autre côté et ce qu’il s’y passe", raconte-t-il à Mashable FR.

L’histoire suit les missions des agents d’une unité de forces spéciales de l’armée israélienne infiltrés dans la communauté arabe entre Ramallah et Naplouse pour déjouer les plans des terroristes du Hamas. Mais loin de la représentation dichotomique et simpliste des "gentils flics" et des "méchants terroristes" bien trop vue à Hollywood, la série a le mérite d’apporter du relief à tous ces personnages.

Doron, ancien agent israélien qui reprend du service, incarné par Lior Raz, est tout sauf irréprochable : animé par une vendetta personnelle, il est violent et sans scrupule même lorsqu’il s’agit de mettre la vie de ses collègues en jeu. Au point qu’on se surprend, à plusieurs reprises, à avoir plus d’affection pour Abu Ahmed, le chef de la branche armée du Hamas dans la saison 1 ou Nidal al-Maqdisi, militant de l'organisation État islamique revenu de Syrie dans la saison 2.

"Dans la plupart des séries télé ou des films, les terroristes sont en général des personnages très plats et fades. On ne les connaît pas, on ne les comprend pas, on ne voit pas leur vie, leur famille ou leurs émotions. On voit juste des gens en keffieh qui font des attentats et tuent des gens", nous explique l’acteur et scénariste israélien, "et nous on a justement essayé de faire l’inverse".

De Cisjordanie jusqu'au New York Times

Si la série tient bien sûr de la fiction, et imagine des scènes qui n'ont jamais été officiellement rapportées, comme les kidnappings ciblés d’agents antiterroristes ou de leurs proches, Lior Raz et Avi Issacharoff se sont aussi inspirés de leur expérience. Le premier a vu sa petite amie mourir dans une attaque terroriste alors qu’il faisait son service militaire dans une unité spéciale de Tsahal. Le second a été attaqué par vingt personnes cagoulées alors qu’il enquêtait sur le terrain, avant d’être arraché à la foule par deux agents des Renseignement palestiniens.

"Je pensais que personne n’allait regarder la série"

Pourtant l’histoire de "Fauda", aux dialogues en arabe et en hébreu, a eu du mal à convaincre les diffuseurs. Les grandes chaînes de télévision en Israël n’ont pas voulu s’engager sur un sujet aussi brûlant, et c’est finalement la chaîne du câble Yes qui a dit oui. "Je pensais que personne n’allait regarder la série à part ma mère et mon père", plaisante Lior Raz. Et pourtant les audiences lui prouvent qu’il avait tort. La saison 1 de la série, diffusée début 2015 là-bas, est un succès et attire vite les regards à l’international.

Un an plus tard, "Fauda" reçoit le prix du meilleur scénario au Festival de la création audiovisuelle internationale (Fipa) à Biarritz. Fin 2016, la série rejoint le catalogue de Netflix pour une grande partie des abonnés de la plateforme, à l’exception notamment de la France où le distributeur WildSide en acquiert les droits. "Fauda" apparait aussi dans la liste des meilleures séries de 2017 selon le New York Times et s’est même attiré les louanges du romancier Stephen King. Depuis, la série a eu droit à une saison 2 (disponible en DVD en France le 4 juillet) tandis que la saison 3 est déjà en cours d’écriture.

FAUDA, on Netflix. Cool Israeli thriller. With episodes only a little longer than your average sitcom, it's all killer and no filler.

— Stephen King (@StephenKing) 14 février 2017

Aujourd’hui encore, Lior Raz a du mal à expliquer le succès de cette histoire imaginée il y a bientôt quatre ans : "C’est une série sincère, authentique qu’on a écrit avec nos tripes. Et je pense que dans l’art, peu importe la forme que cela prend, si cela vient de votre cœur, de votre expérience de la vie, alors vous trouverez un public. On n’a pas essayé d’être politiquement correct, on a juste fait notre truc."

Des voix dissonantes

Mais "Fauda" ne fait pas l’unanimité. Cet hiver, la campagne de promotion de la saison 2 de la série – des immenses affiches noires sur lesquelles on pouvait lire "Préparez-vous" ou "Nous arrivons" en arabe, placardées dans plusieurs villes israéliennes – a fait l’objet de plaintes de la part d’habitants des régions de Nesher et Kyriat Gat qui se sentaient "menacés", rapportait l’AFP.

Le 28 mars dernier, le mouvement international propalestinien BDS, pour "boycotts, désinvestissement et sanctions", adressait une lettre à Netflix dans laquelle il menaçait la plateforme d’intenter une action en justice si elle ne retirait pas la série. Le BDS qualifiait notamment "Fauda" de "propagande raciste en faveur de l’occupation israélienne" et d’"agression envers le peuple palestinien".

À la veille de la mise en ligne de la saison 2 de "Fauda" sur Netflix fin mai, plusieurs experts prenaient à leur tour la parole dans les colonnes du Guardian pour pointer du doigt les "problèmes" de cette série. L’avocate palestino-canadienne Diana Buttu, spécialiste des droits de l’Homme et ancienne conseillère du président de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), expliquait : "Si vous ne faites pas attention, vous vous retrouvez vite noyé dans les assassinats, leurré par le jeu du chat et de la souris. Le concept du bien et du mal est effacé" au profit de l’action qui "transforme les Palestiniens en des silhouettes irrationnelles qui veulent juste tuer des Israéliens."

Pour le journaliste palestinien Ziyad Abul Hawa, cela aurait pu être corrigé assez simplement si l’équipe des auteurs avait inclus des Palestiniens : "Si les scénaristes sont tous Israéliens, peu importe à quel point leurs intentions sont bonnes, ils ne peuvent pas montrer de façon réaliste ce qu’il se passe dans les Territoires palestiniens." Et Diana Buttu d’insister : "Ils ont fait un truc courageux, mais ce n’est pas un miroir des réalités en Cisjordanie. C’est dommage, ils auraient pu le faire et les gens auraient tout autant aimé la série."

"On paie tous le même prix de la guerre"

Peut-être faut-il effectivement garder en tête qu’aussi réaliste soit le décor, "Fauda" n’est pas un documentaire mais bien une série dramatique de fiction. Pourtant son histoire captivante et ses personnages attachants donneront sans doute à de nombreux spectateurs l’envie de comprendre les deux côtés d’un conflit qui s’éternise au Moyen-Orient.

"Vous savez, pendant qu’on parle en ce moment, il y a des gens qui se font tuer quelque part. Il y a des zones de guerre partout dans le monde", finira par nous dire Lior Raz. "Je peux écrire sur ce qu’il se passe en Israël et en Palestine, mais c’est la même guerre qu’ailleurs. Qu’on soit en Afghanistan ou en Corée du Nord, peu importe. On paie tous le même prix de la guerre et c’est ce qu’on voulait montrer avec 'Fauda'."

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