Pour la première fois, le médecin accusé d'avoir contribué au vol de plusieurs milliers de bébés sous la période franquiste est traduit en justice à partir de mardi. Cette première audience pourrait ouvrir la voie à beaucoup d'autres.
Eduardo Vela est arrivé au tribunal à Madrid dans une voiture aux vitres teintées peu avant 10 h, lundi 26 juin. L'audience a débuté à huis clos pour examiner si son état de santé lui permet d'être jugé.
Âgé de 85 ans, l'ancien obstétricien à la clinique San Ramon de Madrid est accusé d'avoir séparé Inès Madrigal, employée des chemins de fer de 49 ans, de sa mère biologique et d'avoir falsifié son acte de naissance, en juin 1969.
Dénoncé depuis longtemps par la presse et des associations, il est le premier à devoir s'asseoir sur le banc des accusés, grâce au témoignage de la mère d'Inès Madrigal, Inès Pérez, décédée depuis. Cette dernière, qui ne pouvait pas avoir d'enfant, a raconté que le docteur Vela lui avait proposé un bébé. Il lui avait demandé de simuler une grossesse, puis l'avait déclarée comme la mère biologique du nouveau-né.
Devant le juge d'instruction, il avait reconnu en 2013 avoir signé "sans regarder" le dossier médical qui indique qu'il a assisté à l'accouchement. "Je suis inscrite comme fille d'une femme stérile qui n'a jamais accouché", résume Inès Madrigal.
Le "gène rouge"
Des cas comme celui-ci pourraient se compter par dizaines de milliers, selon les associations militant pour que la lumière soit faite sur ce trafic qui a commencé sous la dictature de Francisco Franco (1939-1975), souvent avec la complicité de l'Église catholique. Les enfants étaient retirés à leurs parents après l'accouchement, déclarés morts sans qu'on leur en fournisse la preuve et adoptés par des couples stériles, de préférence proches du régime "national-catholique".
Après la guerre civile (1936-1939), l'objectif était de punir les opposantes accusées de transmettre le "gène rouge" du marxisme, affirme Soledad Luque, présidente de l'association Tous les enfants volés sont aussi mes enfants.
Puis ce sont les enfants nés hors mariage, ou dans les familles pauvres ou très nombreuses, qui ont été davantage visés à partir des années 1950. Le trafic a perduré sous la démocratie, au moins jusqu'en 1987, pour des motifs "presque purement économiques", poursuit-elle.
Impunité
C'est le cas de Carmen Lorente, 55 ans, venue de Séville pour manifester devant le tribunal avec une cinquantaine de personnes brandissant des pancartes réclamant "Justice !". Elle s'est vue enlever son bébé en 1979. "Deux jours après la naissance, ils m'ont dit qu'il était mort, qu'il s'était étouffé dans mon ventre. mais je l'avais entendu pleurer", a-t-elle raconté, émue, à l'AFP.
Mais malgré l'ampleur du scandale, dénoncé pour la première fois dans la presse en 1982, aucune des plus de 2 000 plaintes déposées, selon les associations, n'a abouti. "Ce qui unit les trois époques, c'est le mot impunité", affirme Soledad Luque, dont la plainte visant à retrouver son frère jumeau a été classée.
Le même phénomène s'est reproduit en Argentine pendant la dictature militaire de 1976 à 1983. Des nouveaux-nés, environ 500, ont été arrachés à des détenues et confiés en adoption à des familles de militaires ou de civils soutenant la dictature. Deux anciens chefs de la junte militaire, Jorge Videla et Reynaldo Bignone, ont été condamnés en 2012 pour ces vols d'enfants
"Le Dr Vela connaît beaucoup de choses, beaucoup de secrets", a déclaré à la presse Inès Madrigal avant l'ouverture du procès. Mais elle doute qu'il les revèle.
Avec AFP