logo

Carnet de route en Guinée-Bissau : sur les traces du groupe culte Super Mama Djombo

envoyé spécial à Bissau – Fer de lance de la scène musicale de la Guinée-Bissau indépendante, Super Mama Djombo a connu gloire et déboires. Nicolas Germain est parti à la recherche des ex-membres du groupe, dont les fortunes diverses racontent l'histoire de tout un pays.

Ce sont de petits avions qui relient Dakar à Bissau, la capitale de la Guinée-Bissau. Car ce pays lusophone de moins de 2 millions d’habitants n’est pas une destination très prisée.

Pourtant, sur place, avec ma collègue Sarah Sakho, nous découvrons une atmosphère tranquille et surannée. Des restaurants vieillots où l’on sert du calamar grillé. L’activité n’est pas frénétique dans cet État, l’un des plus pauvres du monde. L’économie repose essentiellement sur l’exportation de noix de cajou.

Longtemps, la Guinée-Bissau a été la plaque tournante de la drogue en Afrique de l’Ouest. Surtout dans les années 2000. Depuis quelque temps, le trafic y aurait diminué. Mais il n’a pas totalement disparu. Un jour, en plein centre-ville, un journaliste local me dit : "Tu vois le type qui vient de passer devant nous, c’est un trafiquant notoire recherché par les États-Unis…" Ce journaliste connaît bien le dossier, il s’agit d’Allen Yero Embalo. Il travaille ici pour l’AFP et RFI. Ses propres enquêtes sur le trafic de drogue lui ont attiré de graves ennuis. Menacé, il a dû fuir le pays en 2007 et s’exiler quatre ans en France.

Chansons anti-colonialistes

Si nous sommes ici, ce n’est pas pour remonter la filière de la cocaïne, mais pour retrouver d’anciens membres du Super Mama Djombo, le groupe de musique phare du pays. Avec ses chansons anti-colonialistes, le groupe a vu son succès exploser dans la foulée de l’indépendance obtenue en 1974, après une décennie de lutte armée menée par Amilcar Cabral contre le Portugal.

Surnommé le Che Guevara africain, Amilcar Cabral était le leader du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC). Il fut assassiné en 1973, juste avant l’indépendance, par des membres de son mouvement. En 1974, c’est son frère Luis Cabral qui devient le premier président de Guinée-Bissau.

Luis Cabral a favorisé l’émergence du Super Mama Djombo. Il demandait souvent au groupe de l’accompagner lors de ses voyages officiels à Cuba, au Mozambique, au Portugal ou encore en ex-URSS. "Parfois, il ordonnait à des ministres de descendre de son avion pour que nous puissions partir avec lui", sourit Adriano Ferreira dit "Atchutchi". Celui qui fut le principal compositeur du groupe est aujourd’hui un responsable grisonnant du PAIGC.

La proximité des musiciens avec le pouvoir ne les a pas empêchés d’écrire des chansons critiques lorsque, quelques années après l’indépendance, une partie de la nouvelle élite est devenue corrompue. Des textes engagés qui leur ont valu de brefs séjours en prison. Comme par exemple leur tube "Dissan Na M’Bera" qui évoque les gros bolides de l’État roulant à tombeau ouvert et manquant d’écraser les passants sur le bas-côté.

"Y a plus de bandits que de gens sérieux ici !"

Parmi les quatre principaux membres que nous avons retrouvés, Atchutchi s’en est le mieux sorti sur le plan financier. La chanteuse Dulce Neves est fonctionnaire et essaie tant bien que mal de poursuivre une carrière solo. Sur le port de Bissau, elle se remémore les débuts du Super Mama Djombo avec nostalgie : "C’était un plaisir, une grande joie. L’ambiance était bonne, c’était après la guerre, après la victoire. Et au sein même du groupe, la majorité d’entre nous, presque tous, avaient fait de la politique – de la politique clandestine."

Ze Manel, le truculent batteur du groupe, s’est lui exilé 20 ans en Californie avant de revenir à Bissau pour monter un studio musical. Il n’a pas retrouvé l’élan d’optimisme, qui régnait ici juste après l’indépendance, et jette un regard désabusé sur les gouvernants actuels. "C’était mieux avant. Il y avait une fierté. Un État. À un ministre, on lui demandait d’être responsable. Ce n’était pas quelqu’un qui allait voler de l’argent. Aujourd’hui, on vole, on fait ce qu’on veut, personne ne les dérange. Ce n’est que du banditisme. Ce sont des bandits ! Y a plus de bandits que de gens sérieux ici !"

Celui qui a le plus de mal à joindre les deux bouts, c’est Miguelinho Nsimba, l’ancien guitariste de la formation. Malade, il vit avec sa famille élargie dans une modeste maison d’un quartier populaire de la capitale. "Ce que je pouvais gagner quand j’avais la vingtaine, je ne peux plus à 63 ans ! Je ne peux même pas me payer un kilo de poisson au marché ou un comprimé d’aspirine ! Pour survivre, je suis obligé de jouer dans des bars. Par exemple, pour deux soirées dans la semaine de 21 h à 2 h du matin, on gagne l’équivalent de 20, 30 euros… C’est incroyable non ?"

Le destin de Miguelinho et celui du Super Mama Djombo sont à l’image du pays. Après les heures glorieuses au moment de l’indépendance, le temps des désillusions est arrivé, le pays a sombré, et le groupe s’est progressivement disloqué. Jamais l’orchestre historique ne s’est reformé au complet. Mais, parfois, certains d’entre eux, accompagnés de jeunes musiciens, jouent ensemble, comme lors d’une tournée en Islande il y a quelques années.

Un soir, alors que le soleil se couche sur la capitale, quatre anciens acceptent de se rassembler dans une courette. Ils prennent une guitare et un bongo, et de sa voix si mélodieuse, Dulce entonne "Dissan Na M’Bera". Alors, pour un court instant magique, c’est l’enivrant parfum de cette époque révolue depuis longtemps qui ressurgit dans le ciel de Bissau.