correspondante à New York – Donald Trump a organisé un iftar à la Maison Blanche mercredi, selon la tradition musulmane lors du ramadan. Un dîner qui est loin de faire oublier les nombreuses saillies anti-islam du président américain, jugent des experts.
Dans une rue du Queens, deux amis musulmans se détendent, mercredi 6 juin, sur des chaises installées à même le trottoir. Dans quelques heures, ils célébreront l’iftar, le repas quotidien pris pour rompre le jeûne durant le ramadan. Ce jour-là, Donald Trump en a fait de même. Le président américain a organisé pour la première fois un iftar à la Maison Blanche, en l’honneur de la communauté musulmane, se pliant à une tradition vieille de 20 ans qu'il avait négligée l'an passé.
"C’est une bonne chose que les gens connaissent notre religion", estime Sam (comme il souhaite se faire appeler), un Tunisien de 41 ans arrivé il y a deux décennies aux États-Unis. "Mais ce dîner ne veut pas dire grand chose : Donald Trump ne s’intéresse à personne d’autre qu’à lui-même. Il ne changera pas envers nous." À ses côtés, Ali Mahmoud, un Égyptien de 65 ans naturalisé américain qui a émigré en 1984, se veut, lui, plus optimiste : "Si, si, il change ! Au début de son mandat, il n’était vraiment pas correct avec les musulmans, mais maintenant il se rend compte qu’il n’est pas beaucoup apprécié. Je pense que l’amigo est en train de changer pour de bon".
Sur le papier, la rhétorique de Donald Trump a de fait évolué depuis l’année dernière. En 2017, à l’occasion du début du ramadan, la Maison Blanche avait rappelé l’engagement des États-Unis contre le terrorisme, dressant ainsi un parallèle douteux entre musulmans et terroristes. Cette année, en revanche, le gouvernement s’est fendu d’un communiqué qui vante "les richesses apportées par les musulmans à la vie religieuse américaine".
"Ce soir, nous honorons la tradition sacrée de l’une des grandes religions au monde", a déclaré Donald Trump mercredi lors du dîner, face à des diplomates et des membres de cabinet. Les représentants des organisations musulmanes étaient, eux, aux abonnés absents. Plusieurs d’entre elles ont affirmé ne pas avoir été conviées et n’avoir eu vent d’aucune invitation adressée à des représentants de leur communauté. La Maison Blanche n’a, de son côté, pas divulgué l’identité des invités.
Une occasion ratée, selon des experts, d’apaiser les relations entre le président et cette communauté qu’il prend pour cible depuis deux ans.
"Les musulmans ne sont plus autour de la table"
Plusieurs organisations ont d’ailleurs appelé au boycott de ce repas et certaines ont manifesté durant la soirée devant la Maison Blanche. "Nous ne sommes plus autour de la table. On nous met à l’écart, on nous manque encore de respect, on continue de nous diminuer", assène l’imam Yahya Hendi, aumônier de la Georgetown University et président du groupe Clergy beyond borders ("Clergé sans frontières”).
Ce dernier avait été invité à l’iftar organisé par Barack Obama en 2009. Une tradition censée "rendre hommage à la communauté musulmane et à ce qu’elle a apporté aux États-Unis tout au long de l’histoire de ce pays", explique-t-il. Là, en l’occurence, il s’agit d’un "fake iftar", enrage-t-il. "Trump essaie de prouver que les musulmans soutiennent sa politique. Mais nous n'avons que faire des photos officielles et des iftars à grands coups de marketing. Qu’il commence déjà par modifier la façon dont il parle de nous."
Ce n’est en effet pas en un repas que Donald Trump fera oublier ses diverses prises de position anti-islam, comme ce retweet d'une vidéo anti-musulmans d'un groupe d'extrême droite, et ses décrets migratoires visant les ressortissants de pays majoritairement musulmans. Ni, d’ailleurs, les positions défendues par son entourage. Récemment, son conseiller à la Sécurité nationale – John Bolton, proche d’un think tank conservateur – s’est doté d’un chef de cabinet ayant fait partie d’un groupe qui soutient que les musulmans s’apprêtent à prendre le contrôle des États-Unis.
"Business"
“Le président part de loin s'il veut s’attirer la sympathie des musulmans", commente David Mack, expert de politique américaine au sein du Middle East Institute. "En revanche, s’il s’agit d’améliorer ses relations avec certains pays étrangers, notamment ceux à majorité musulmane, cela pourrait fonctionner." La réputation des États-Unis au niveau international avait en effet été écornée après le non-respect, en 2017, de la tradition de l'iftar par le locataire de la Maison Blanche, précise le spécialiste.
Alors que les États-Unis ont signé, fin mars, un contrat d’un milliard de dollars avec l’Arabie saoudite – comprenant la vente de 6 700 missiles américains –, d’aucuns pointent l’influence de ce royaume sur la tenue du dîner.
"Cela ne me surprendrait pas que les Saoudiens aient demandé à ce qu’un iftar soit organisé et que Trump ait accepté", avance pour sa part Daniel Serwer, lui aussi spécialiste affilié au Middle East Institute. "Je pense que ce n’est que du business. Si Donald Trump voulait vraiment changer d’attitude envers les musulmans, il aurait bien d’autres choses concrètes à faire. Et cette administration reste quoi qu’il en soit très hostile envers cette communauté."
Un dîner pour gagner une bataille judiciaire
Pour d’autres encore, l’enjeu pourrait se trouver du côté des tribunaux, alors que le décret anti-immigration de Donald Trump, texte qui a été accusé de discriminations envers les musulmans, a été bloqué par des juges dans plusieurs États américains. La Cour suprême a cependant estimé que, même contesté, le texte pouvait être appliqué dans l'attente d'une décision définitive.
"En se prêtant à cet événement, Donald Trump essaie clairement de prouver qu’il n’est pas hostile aux musulmans et qu’il n’a aucun problème avec eux, analyse Maya Barry, directrice de l’organisation Arab American Institute. Cela me paraît évident qu’il cherche à contrer les arguments qui ont mené au blocage de son décret. Il peaufine sa défense."
Le verdict, attendu fin juin, de cette ultime bataille judiciaire sur le décret anti-immigration permettra ainsi de dire si cet iftar a été convaincant.