logo

Les cyber-jihadistes de l’EI abusent de l’Internet archive pour diffuser leur propagande

Une étude sur deux forums pro-EI sur Internet révèle que les militants jihadistes ont fait de l’Internet archive, un site dédié à la mémoire du réseau informatique mondial, une plateforme majeure pour diffuser leur propagande.

Pour le commun des internautes, l’Internet Archive (archive.org) est un site qui répertorie l’évolution des sites internet à travers le temps. Pour les cyber-jihadistes de l’organisaion État islamique (EI), c’est devenu un lieu de prédilection pour diffuser leur propagande en ligne.

C’est l’un des constats d’un rapport de la société américaine de sécurité informatique Flashpoint, publié le 15 mai, qui révèle les petits secrets de deux forums cachés dans les tréfonds d'Internet, où des centaines de militants et sympathisants de l’EI discutent des meilleurs moyens de promouvoir leur jihad en ligne.

Où poster les vidéos de décapitation ? Sur quelle plateforme héberger des guides pour devenir le parfait fabriquant de bombes artisanales ? Telles sont les préoccupations relevées par des chercheurs de la société américaine de sécurité informatique Flashpoint qui ont pu infiltrer ces forums pendant plus de deux ans, entre 2015 et 2017.

Une bouée de sauvetage pour cyber-jihadistes

“La parole y est libérée car ils ont l’impression d’être à l’abri des regards”, souligne à France 24 Ken Wolf, auteur du rapport. Les membres s’y sentent, en effet, plus à l’aise : impossible de trouver leur trace à l’aide d’un moteur de recherche. Ces forums se trouvent sur le Deepweb, cette partie d'Internet qui échappe à l’”omniscience” de Google et autres. Pour en faire partie, il faut connaître le nom des forums, obtenir leur adresse sur le Net, et être recommandé par un membre.

Un précieux sésame qui permet de participer à la stratégie de diffusion de la propagande. Entre 2015 à 2017, l’EI a dû faire face à un réveil des consciences sur Internet, surtout de la part des grands sites, comme YouTube, Twitter et Facebook, qui commencent à lutter activement contre la propagande en ligne.

L’Internet Archive apparaît alors à ces militants comme une bouée de sauvetage. En 2017, près de 15 % de la propagande est postée en priorité sur ce site, loin devant les services de stockages de Google (photos, drive ou YouTube). “Archive.org a deux fonctions : il prend à intervalle régulier des captures d’écrans de tous les sites pour les archiver et permet aussi à ses utilisateurs d’y stocker des images de leurs sites pour la postérité. C’est cette dernière possibilité dont les membres de l’EI ont abusée”, explique Ken Wolf. Au lieu d’y conserver des images de sites, ils mettent ainsi en ligne leurs vidéos, fichiers audio et autres contenus haineux et de propagande.

Le pari de ces jihadistes est que la nature même d’archive.org les protège contre toute censure, explique Ken Wolf. Cette plateforme se veut un reflet aussi fidèle que possible de l’évolution d'Internet, afin de fournir une véritable bibliothèque historique du Web pour les chercheurs. Les administrateurs d’archive.org sont donc très réticents à l’idée de faire disparaître des contenus de leur site.

Boutés hors de Twitter

Mais le recours à Archive.org ne signifie pas que les autres plateformes ont été désertées pour autant. En fait, malgré les efforts pour contrer la propagande de l’EI, “force est de constater que le top 10 des plateformes les plus utilisées pour diffuser vidéos, enregistrements audio ou documents de l’EI n’a pas vraiment changé en deux ans”, remarque Ken Wolf. YouTube, Justpaste.it, Google Drive ou Mail.ru continuent à être utilisés. Facebook n’apparaît pas car le réseau social nécessite de se connecter pour voir le contenu, ce qui va à l’encontre de l’objectif des membres de ces forums : que tout le monde puisse avoir accès facilement à leur propagande.

Une seule plateforme majeure semble, cependant, avoir réussi à bouter les membres de l’EI hors de son territoire : Twitter. En 2015, plus de 15 % des contenus de propagande étaient postés en priorité sur ce réseau social, contre 0,8 % en 2017. Les militants du groupe terroriste se sont d’ailleurs plaints sur leurs forums de la difficulté d’exister sur Twitter, ont constaté les auteurs de l’enquête. “Plus de 120 comptes que j’avais créés ont été fermés. Parfois, trois d’entre eux étaient effacés le même jour. Quel est l’intérêt pour nous d’insister, si les comptes disparaissent dans l’heure ?”, s’interroge ainsi l’un des membres du forum, en réponse à un autre qui appelait tous les jihadistes à redoubler d’efforts pour “retourner sur Twitter”.

Reste qu’avec toutes ces données entre les mains, les résultats de l’étude de Flashpoint laissent comme un goût d’inachevé. L’analyse ne porte pas sur le contenu même de la propagande distillée en ligne. Quel type de propagande a actuellement la cote ? Existe-t-il une différence entre les contenus postés sur des plateformes “grand public” comme YouTube et sur des sites pour un public plus averti ?

Ken Wolf reconnaît qu’il y a encore du travail à faire. “Nous avions près d’un million de liens postés sur ces forums à traiter, et notre première préoccupation a été de comprendre quels étaient les sites privilégiés pour diffuser la propagande”, justifie-t-il. Mais il ne s’interdit pas de replonger dans ce puits de haine en ligne pour affiner et compléter les conclusions du premier rapport.