Sur des dizaines de chaînes de télévision locales du groupe américain Sinclair Broadcast, des présentateurs ont prononcé en mars des phrases identiques contre les "fake news". Un texte très politique écrit par leur patron,
"C'est extrêmement dangereux pour notre démocratie." Ce message a été répété sur des dizaines de chaînes de télévision locales du groupe américain Sinclair Brodcast, au cours de ces dernières semaines. Il était prononcé par les présentateurs vedettes de ces antennes et pour un téléspectateur non averti, c'est bien un message anti-"fake news" qui est relayé.
Sauf que ces journalistes, qui jugeaient là les "fake news" répandues trop souvent sur les réseaux sociaux ne faisaient que lire un script, une demande émanant des plus hautes sphères de leur groupe de presse dirigé par David D. Smith. Et les mots sonnaient clairement comme de la propagande pro-Trump, dont le groupe Sinclair, qui possède 200 chaînes de télévision à travers les États-Unis, est très proche : "Certains médias publient de fausses informations sans vérifier d'abord les faits", "Les fausses informations sont devenues trop répandues sur les réseaux sociaux.", etc.
Petits soldats de la guerre contre les médias
Dès le 7 mars, CNN révélait l'existance de cette "campagne publicitaire qui ressemble à de la propagande pro-Trump", ce président qui est en guerre contre les médias qui ne font, la plupart du temps selon lui, que propager des "fake news". "J'avais l'impression d'être un otage qui enregistre un message vidéo", a déclaré à la chaîne d'information un journaliste du groupe Sinclair, sous couvert d'anonymat
Mais, comme toujours, c'est encore plus flagrant en vidéo. Le site d'information Deadspin a compilé des dizaines de séquences enregistrées sur les chaînes du groupe Sinclair. Et le montage, publié samedi 31 mars, est, comment dire, éloquent : les présentateurs ont prononcé des phrases entières à l'identique.
How America's largest local TV owner turned its news anchors into soldiers in Trump's war on the media: https://t.co/iLVtKRQycL pic.twitter.com/dMdSGellH3
— Deadspin (@Deadspin) 31 mars 2018
Lundi, Donald Trump a balayé en deux tweets avoir quoi que ce soit à voir avec cette campagne orchestrée de main de maître. Il a vanté la "qualité de Sinclair Broadcast", réseau "bien supérieur à CNN et à la encore plus fake NBC, qui est une vraie blague".
Pour Donald Trump, c'est évident, les médias qui ont relayé cette histoire, ne font que des "fake news".
Mais depuis le début de cette semaine, de nombreux articles expliquent que le groupe Sinclair est coutumier de ces campagnes politiques. Dans une étude publiée le 22 mars et repérée par Vox, deux chercheurs de l'Université Emory, basée à Atlanta, ont constaté que lorsque le groupe acquiert une station locale, ses programmes sont modifié pour traiter davantage de politique nationale plutôt que de problématiques locales, et que la ligne devient plus conservatrice, ce qui a souvent pour effet de faire baisser les audiences – suggérant que la volonté est de convaincre les téléspectateurs du message plutôt que d'accroître l'audimat. Cette donnée est à mettre en parallèle avec le fait que 40 % des Américains ont accès aux chaînes de Sinclair Broadcast.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les antennes de Sinclair sont ouvertes à des analystes politiques au passé profondément partisan, tel Boris Epshteyn, ancienne cheville ouvrière de la campagne de Trump en 2016 et qui l'a accompagné à ses débuts à la Maison Blanche, dont pas moins de neuf chroniques sont diffusées sur tout le réseau chaque semaine. Quant aux journalistes de ces chaînes, ils n'ont pas leur mot à dire et toute prise de parole maladroite pourrait se retourner contre eux et leur coûter très très cher, rapporte Bloomberg.
De la puissance de la télévision, en 2018
Toute cette histoire ne semble en tout cas pas atteindre Sinclair Broadcast. Côté en Bourse, son action était inchangée à la clôture mardi. Le groupe cherche d'ailleurs à faire l'acquisition de Tribune Media, pour 3,9 milliards de dollars, ce qui ajouterait 42 nouvelles chaînes au 193 existantes. La FCC, Commission fédérale des communications américaine, et le ministère de la Justice doivent tout de même encore donner leur aval. Selon le site Mother Jones, Sinclair pourrait alors toucher 72 % des foyers américains, ce qui est bien au-delà des 39 % normalement autorisés légalement au niveau fédéral, mais la méthode de comptage ne tient pas compte des différents moyens de réception, alors que le numérique remplace l'analogique.
37 % des Américains disent faire confiance à leur chaîne locale pour s'informer
Mais ce qu'il faut savoir, c'est que 37 % des Américains disent faire confiance à leur chaîne locale pour s'informer, selon un sondage du Pew Research Center publié en 2017. 45 % citent Facebook – aussi accusé de propager les "fake news". Suivent les sites d'information et applications pour 33 %, les chaînes câblées pour 28 %, les bulletins des chaînes nationales pour 26 % et enfin 18 % qui continuent à lire des journaux imprimés.
Et la croissance du groupe Sinclair et ses rachats de chaînes ont été si rapides et nombreux que des millions de téléspectateurs ne savent même pas que leur chaîne locale préférée est devenue conservatrice. La toute puissance de la persuasion de masse par le petit écran est donc encore une réalité en 2018, à l'ère des "fake news". Et c'est extrêmement dangereux pour la démocratie, en effet.
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