Nos reporters Bastien Renouil et Élodie Cousin sont retournés à Khartoum, la capitale du Soudan, six mois après la levée des sanctions américaines. Tandis que les Soudanais ont subi pendant 20 ans l’embargo économique américain, facteur d'asphyxie pour l'économie, ils espèrent désormais voir changer en bien leur quotidien. Mais le régime, malgré sa volonté affichée de s’ouvrir au reste du monde, reste très critiqué pour les atteintes aux droits de l’Homme et aux libertés.
Cela faisait 20 ans que les Soudanais attendaient la levée de l'embargo économique américain imposé en 1997 par Bill Clinton. À l’époque, le Soudan était un soutien important du mouvement Al-Qaïda et de sa figure emblématique, Oussama Ben Laden, qui vécut à Khartoum de 1992 à 1996.
Alors, le 6 octobre dernier, quand la nouvelle tant attendue a été annoncée, des milliers de Soudanais sont descendus dans les rues de la capitale pour fêter la fin de deux décennies de calvaire. Quelques bannières étoilées ont même été brandies dans les rues. Un symbole inimaginable il y a encore quelques années.
Si Barack Obama avait fait le premier pas en levant les sanctions durant une période de six mois, à compter de janvier 2017, c'est bien Donald Trump qui a fini par entériner la mesure. En échange de la levée de l’embargo, le Soudan s'est engagé à travailler avec les services de renseignements américains, notamment en matière de lutte contre les groupes islamistes.
"Mauvais message" ?
Bien que le Soudan figure encore sur la liste noire américaine des États qui financent le terrorisme, de nombreux secteurs vont désormais bénéficier de la nouvelle donne économique. Les hôpitaux, notamment, peuvent enfin s'équiper en matériel neuf, principalement conçu par des entreprises américaines. Jusqu'à présent, nombre de malades devaient faire le trajet jusqu'au Caire pour trouver des infrastructures en bon état. La compagnie aérienne Sudan Airways sort aussi d'un long tunnel : sous l’embargo, Airbus et Boeing ne livraient plus d'appareils au pays et refusaient de remplacer les pièces usagées des avions de la compagnie nationale. Enfin, les entreprises soudanaises vont pouvoir exporter de nombreux produits, quand seul le pétrole trouvait acquéreur jusqu’ici. La culture du coton, autrefois point fort du pays, a par exemple été abandonnée ces deux dernières décennies et va pouvoir être relancée.
Mais ces derniers mois, à Karthoum, la vie n’est pas devenue rose comme par enchantement. Loin de là. S’il faudra du temps à l’économie pour se relever, c’est la question des droits de l’Homme et des libertés publiques qui inquiète le plus. De nombreuses ONG, comme Human Rights Watch, s’indignent : "Lever les sanctions de manière permanente envoie un mauvais message, alors que le Soudan a fait très peu de progrès en matière de droits humains". Pour l’ONG, "un tel gouvernement ne devrait pas être récompensé".
Guerres et répression politique
Le régime d'Omar el-Béchir, accusé de crimes contre l'humanité par la Cour pénale internationale, est l'un des plus répressifs d'Afrique. Les opposants sont régulièrement jetés en prison, tout comme les défenseurs des droits de l’Homme, tandis que deux conflits ensanglantent toujours le pays : la guerre du Darfour et celle du Kordofan du Sud. Le régime d'el-Béchir est accusé d’avoir tué des milliers de civils, notamment lors de bombardements, dont certains auraient été menés avec des armes chimiques...
Avec la levée de l’embargo et l’ouverture de l’économie, le quotidien des Soudanais pourrait certes s’améliorer. Mais leurs attentes en matière de libertés publiques et de respect des droits de l'Homme restent, elles, immenses.