
Jean-Yves Le Drian est à Téhéran lundi pour de tenter de sauvegarder l'accord sur le nucléaire iranien, menacé par Donald Trump. La France, qui entend demander à l'Iran des gages, a-t-elle les moyens de se faire entendre ?
Poursuivre un dialogue "franc et exigeant" avec Téhéran. Les éléments de langage choisis par le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, pour caractériser sa visite entamée lundi 5 mars en Iran, montre à quel point sa mission s’annonce difficile.
Indéniablement, cette visite, dans un pays où la France, après des années de tensions, a désormais des intérêts économiques prometteurs – les échanges commerciaux entre les deux pays ont crû de 235 % en 2016 – à la faveur de l’accord sur le nucléaire, est un test risqué pour la diplomatie prônée par le président Emmanuel Macron. Une diplomatie qui vise à repositionner la France en puissance médiatrice dans une région stratégique, où son influence est en "net recul", pouvait-on lire dans une note publiée par l’Institut Montaigne en août dernier .
"L'Iran est un grand pays et un acteur clé dans la région, nous devons nous parler et nous parler clairement. C'est mon intention", confiait le ministre français au Journal du dimanche (JDD) à la veille de son départ.
Fermeté iranienne
Les entretiens programmés de Jean-Yves Le Drian avec les plus hauts responsables de la République islamique, visent à sauver l’accord sur le nucléaire iranien, dans le collimateur du président Donald Trump. Et ce, en échange de concessions de l'Iran sur son programme balistique controversé, pour lequel le pays risque de nouvelles sanctions, et d’un recadrage de ses ambitions régionales, notamment son influence en Syrie et au Yémen. Pourtant, si Emmanuel Macron cultive des rapports privilégiés avec le président américain, rien ne garantit aux Iraniens que Paris puisse exercer la moindre influence dans ce dossier sur Donald Trump et son administration.
Sans compter que ces deux questions, les missiles balistiques et la montée en puissance de l’Iran au Moyen-Orient, sont très sensibles pour Téhéran, qui a fait part à plusieurs reprises ces derniers mois de son agacement à l’égard des positions affichées par la France, qui avait notamment dénoncé , le 17 novembre, "les tentations hégémoniques" des Iraniens dans la région.
A u plus haut niveau de l’État iranien, le ton reste donc ferme. "Nous ne négocierons avec personne sur nos armes", a averti le président Hassan Rohani lors d'une conversation téléphonique, dimanche, avec Emmanuel Macron, selon un compte-rendu officiel iranien de cet appel, publié quelques heures avant l’arrivée de Jean-Yves Le Drian . Dans le JDD, ce dernier avait pourtant invité les Iraniens à se saisir de ce dossier "à bras le corps, faute de quoi ce pays s'exposera à de nouvelles sanctions".
Dans un entretien publié lundi à Téhéran, le chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif, figure emblématique de l’accord sur le nucléaire, a lui aussi durcit le ton, en dénonçant l'"extrémisme" dont font preuve, selon lui, les pays de l'Union européenne "pour conserver les États-Unis dans l'accord sur le nucléaire iranien". Des propos rendus publics avant son entrevue avec Jean-Yves Le Drian.
L'Iran demande "des comptes"
La France aimerait également peser sur le dossier syrien, mais risque de se heurter là aussi à un mur. L'Élysée a d’ailleurs annoncé que le président Emmanuel Macron avait demandé à son homologue iranien Hassan Rohani, lors d e l’ entretien téléphonique de dimanche , "d'exercer les pressions nécessaires " sur Damas "pour mettre un terme aux attaques indiscriminées contre les populations" de la Ghouta orientale. En somme, Paris demande à Téhéran d’ appliquer le cessez-le-feu exigé par les Nations unies la semaine dernière avec la résolution 2 401.
Le soutien au régime de Bachar al-Assad est une ligne rouge iranienne constante depuis le début de la crise en 2011. Le président iranien lui a rétorqué que l'Iran estime que les pays vendant des armes à l'Arabie saoudite, soit l'un des premiers clients à l'exportation pour les industries d'armement françaises, doivent "rendre des comptes" pour les "crimes de guerre" qui sont commis au Yémen. Une fin de non-recevoir sur un dossier, celui de la Ghouta orientale, qui est de toute manière traité directement par le régime syrien et par son allié russe.
"La France est complétement hors-jeu en Syrie, et pour ne pas dire au Proche-Orient, les cinq années de mandat de François Hollande ont été désastreuses pour la diplomatie française dans la région, qui n’a pas compris que l’Iran et la Russie ne lâcheraient pas leur allié Bachar al-Assad", expliquait récemment Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et chercheur invité à la Hoover Institution-Stanford University, interrogé par France 24. Et d’ajouter : "Il y a beaucoup de chemin à faire, il faut revenir à une politique plus réaliste et peut-être que la France pourra à nouveau peser sur la crise syrienne", avait-il ajouté.
Les dernières déclarations de plusieurs hauts responsables iraniens montrent que la République islamique, même si elle reste attachée à l’accord sur le nucléaire iranien, n’est pour le moment pas prête à faire des concessions. "Si la visite de Le Drian vise à renforcer nos relations, il vaut mieux ne pas prendre de positions négatives", a prévenu samedi le conseiller du Guide suprême Ali Khamenei pour les affaires internationales, Ali Akbar Velayati.
"Nous allons assurément dire à la partie française en toute franchise que leurs inquiétudes concernant la politique régionale de l'Iran sont une illusion", a déclaré pour sa part le porte-parole des Affaires étrangères iraniennes, Bahram Ghassemi, cité par l'agence Fars.
Un comité d’accueil qui laisse très peu de marge de manœuvre au ministre français, qui est également censé préparer une visite historique d’Emmanuel Macron en 2018. Reste à savoir si ce dernier acceptera de s’y rendre sans avoir auparavant obtenu la moindre concession iranienne.