![À Paris, des familles syriennes appellent à la libération des "disparus" À Paris, des familles syriennes appellent à la libération des "disparus"](/data/posts/2022/07/23/1658550276_A-Paris-des-familles-syriennes-appellent-a-la-liberation-des-disparus.jpg)
Plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées samedi à Paris à l'appel de l'ONG Families for Freedom pour attirer l'attention sur le sort de tous les Syriens détenus par le régime syrien ou portés "disparus".
Mères, épouses, sœurs, filles de disparus… Elles étaient quelques dizaines samedi 27 janvier à être rassemblées sous le ciel gris de la place de la République à Paris, pour porter la voix de leurs proches, détenus dans les prisons de Bachar al-Assad en Syrie et dont elles sont sans nouvelles.
Un bus à impériale rouge, baptisé "bus pour la liberté", a été spécialement affrété pour l'occasion. Sur sa carrosserie, des dizaines de photos sont encadrées : Mohammad, Sinan, Mahmouh, Jihad, Ahmad… Des visages de maris, de fils, de frères, tous disparus dans les geôles du régime syrien. "Libérez-les", clame la banderole.
L'initiative syrienne de Families for Freedom remonte à 2014. Elle vise à donner la parole aux familles des disparus suite à des arrestations. En octobre 2017, l'ONG a lancé le voyage de son "bus pour la liberté" qui doit rallier plusieurs capitales européennes pour porter la parole de ces familles dont le sort des proches reste inconnu.
"Je ne suis qu'un exemple parmi tant d'autres"
Sur la tribune improvisée, Fariza Jahjah est la première à prendre à parole. Malgré le froid mordant de ce matin d'hiver, sa voix ne tremble pas : "Je ne suis qu'un exemple parmi tant d'autres", tient-elle à souligner.
Fariza commence à raconter son histoire. Elle et son mari, Naseer Sabr Bondek, un fonctionnaire du ministère de la communication, ont toujours été des activistes. Du temps d'Hafez al-Assad, père de Bachar, ils militaient déjà pour le respect des droits de l'Homme. Mais c'est à partir de 2012 et le début de la guerre civile syrienne qu'ils ont senti le danger se rapprocher.
"Je me suis exilée en France fin 2013", raconte Fariza Jahjah à France 24. "Mon mari a voulu rester. Il pensait que c'était en Syrie qu'il fallait se battre pour ses idées. Trois mois plus tard, le 17 février 2014, il était emporté lors d'une vague d'arrestations d'opposants."
Depuis, Fariza n'a aucun moyen de savoir ce qui est arrivé à son époux : "La seule certitude que j'ai, c'est l'endroit où il a été emmené, grâce à deux femmes arrêtées en même temps que lui. Sinon, je n'ai que des rumeurs : on me dit qu'il est mort puis le jour d'après qu'il est vivant…"
Elle reprend, le ton grave : "Ce bus porte plusieurs dizaines de portraits mais si on devait réellement accrocher une photo pour chaque disparu, l'ensemble des couloirs du métro de Paris ne suffirait pas. " Selon l'activiste, on dénombrerait près 200 000 détenus politiques et de disparus en Syrie.
"Je veux juste fleurir sa tombe"
Peu après, c'est au tour de Noura Ghazi Safadi de s'exprimer. Cette avocate a vu son compagnon, Bassel Khartabil, l'un des leaders de la révolution de 2011, être ciblé par le régime en 2012 :
"Ils l'ont emmené 15 jours avant notre mariage", raconte-t-elle. "J'ai eu de la chance, je pouvais encore lui rendre visite dans sa prison. Nous avons même pu nous marier ainsi. Mais il a fini par être transféré dans un autre lieu. Je n'ai plus eu de nouvelles jusqu'à août dernier où j'ai appris qu'il a été exécuté."
"C'est pour cela qu'aujourd'hui, nous réclamons la libération de tous les prisonniers politiques du régime. Surtout, nous réclamons le droit de connaître leur sort : Sont-ils vivants ? Souffrent-ils ? Sont-ils morts ?," s'interroge l'avocate.
"Mon mari est mort. Je le sais. Mais je voudrais juste savoir où il est enterré pour lui rendre visite et fleurir sa tombe", conclut-elle sous les applaudissements des 200 personnes venues assister à la manifestation.
Après les discours, les femmes de Families for Freedom réclament une minute de silence pour les disparus. Puis, elles invitent celles qui sont venues avec un portrait de leur proche à venir l'accrocher aux côtés des photos récupérées lors de l'étape londonienne. Une douzaine de femmes s'avancent.
"Nous espérons être entendues"
Parmi elles, Malak. Elle ne souhaite pas donner son nom de famille par peur de représailles envers sa fille, toujours en Syrie. Elle a entendu parler de l'initiative du "bus pour la liberté" par le bouche à oreille, très efficace parmi les activistes syriens réfugiés à Paris. Elle est là pour accrocher le portrait de son fils, Firas al-Maaslani, arrêté en 2012.
"Je ne perds pas espoir. Nous continuerons de demander la liberté pour tous les détenus" clame Malak. "Nous espérons que nous serons entendus."
"Aujourd'hui, tous ce que nous pouvons faire, c'est nous exprimer et faire en sorte que tout le monde prenne conscience de ce qui se passe dans les prisons du régime. La France, l'Europe, le monde, doivent agir et faire pression sur Bachar al-Assad pour nous aider," réclame Fariza Jahjah. Mais, comme un symbole, la statue de la République semble ostensiblement tourner le dos au bus des familles syriennes.
Après le dépôt des portraits, les Syriennes entonnent un chant de Samih Choukeir, artiste syrien exilé à Paris. La chanson, composée dans les années 90, dénonce les exactions dans les prisons d'Hafez al-Assad. "C'est triste de voir que plus de vingt ans après, nous sommes encore obligés de la chanter", souffle Fariza Jahjah.