En République démocratique du Congo, l’Église catholique défie le pouvoir après avoir joué le rôle de médiateur dans la crise politique que traverse le pays. Les dernières marches pacifiques soutenues par les évêques ont été violemment réprimées.
Des slogans, des chapelets et des rameaux face à des gaz lacrymogènes et des tirs à balles réelles. Les marches pacifiques, organisées dimanche 21 janvier, dans plusieurs villes de la République démocratique du Congo contre le maintien au pouvoir du président Joseph Kabila ont été violemment réprimées par les autorités. Le bilan est lourd. Selon la Mission des Nations unies au Congo (Monusco), au moins six personnes ont été tuées, une cinquantaine a été blessée et une centaine interpellée, dont douze religieux d’après l’Association congolaise à l’accès à la justice (Acaj). Le 31 décembre, la dispersion de marches similaires avait fait au moins 6 morts, de source onusienne. Des bilans toujours contestés par le pouvoir.
Initié par le Comité laïc de coordination (CLC) soutenu par l’Église catholique, ce mouvement réclame que le chef de l’État déclare publiquement qu'il ne sera pas candidat à un troisième mandat, ce que lui interdit la Constitution. Il demande aussi la libération des prisonniers politiques tels que prévu par l’accord de la Saint-Sylvestre conclu entre la majorité et l’opposition sous l’égide de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), aux dernières heures de 2016.
Ce texte, arraché par les évêques après des semaines de négociations, prévoyait l’organisation d’élections fin 2017, au plus tard. Mais coup de théâtre en novembre, cette date a été renvoyée par la commission électorale (Ceni) au 23 décembre 2018, estimant que les violences dans le Kasaï avaient retardé le recensement. Un coup de massue pour la Cenco et la certitude pour l’opposition que Joseph Kabila ne quitterait pas le pouvoir.
"Que les médiocres dégagent"
Fragilisée par la non-application de cet accord, l’Église catholique ne s’était, jusque-là, pas officiellement associée aux précédentes manifestations populaires, immanquablement interdites et réprimées violement. Cette réserve a été rompue début janvier par une réaction cinglante du très influent archevêque de Kinshasa, Laurent Monsengwo, à la répression des premières marches pacifiques du CLC. "Il est temps que la vérité l’emporte sur le mensonge systémique, que les médiocres dégagent et que règnent la paix, la justice en RDC", a déclaré celui décrit par un journal congolais en ligne comme la "voix la plus écoutée du pays depuis la disparition de l’opposant Étienne Tshisekedi". Étienne Tshisekedi est décédé le 1er février 2017 à Bruxelles, à l’âge 84 ans, laissant une opposition exsangue et morcelée, incapable de se trouver un nouveau leader et de mobiliser contre la majorité.
"L’Église est l’une des institutions les plus structurées au Congo, ce qui explique sans doute qu’elle puisse jouer ce rôle dans la mobilisation, plus que ne le peut l’opposition. On ne peut pas avoir de mobilisation sans structuration", explique Mehdi Belaïd, chercheur en sciences politiques à l’université Paris I, interrogé par France 24.
L’Église catholique "seul acteur encore debout"
Historiquement, l’Église catholique a toujours joué un rôle politique et social en République démocratique du Congo. Ce n’est notamment pas la première fois que Mgr Monsengwo, proche du pape, s’oppose frontalement à Joseph Kabila. En décembre 2011 déjà, il avait publiquement mis en doute les résultats de l’élection présidentielle remportée par le chef de l’État. Des résultats "conformes ni à la vérité, ni à la justice", selon lui. Il s’était aussi opposé à Kabila père (Laurent-Désiré, dirigeant entre 1997 et 2001), alors qu’il était archevêque de Kisangani.
Et ces marches pacifiques ne sont pas sans rappeler celle de février 1992. Le même "comité laïc de coordination" avait organisé "la marche des Chrétiens", contre la dictature du maréchal Mobutu, accusé de ne pas vouloir reprendre les travaux d'une "conférence nationale" supposée libéraliser le régime. La répression qui s'en était suivie avait causé la mort de plusieurs dizaines de manifestants.
Dans une tribune publiée par le journal La Croix, l’analyste belge Kris Berwoots, spécialiste du pays, estime que "l’Église congolaise est désormais le seul acteur encore debout". Seul acteur à pouvoir mobiliser aussi : "Il s’agit d’une institution véritablement nationale qui, à travers ses paroisses, son réseau d’associations ou encore son implication dans le secteur éducatif et sanitaire, est omniprésente dans le pays. (….) On peut imaginer que si la conférence des évêques décidait demain de diffuser un message, il serait lu dimanche pendant la messe dans toutes les paroisses."