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Avec "120 battements par minute" et "Moonlight", les films gays sont-ils devenus mainstream en 2017 ?

Plusieurs films gays ont rencontré un succès public, et critique, en France cette année. Le signe que la société devient plus acceptante, et intéressée, par la vie des LGBT. Mais du chemin reste à parcourir.

Les films estampillés gays seraient-ils en train de devenir mainstream ? C’est la question que l’on peut se poser après les succès de "Moonlight", de "120 battements par minute" et de "Call me by your name", sorti uniquement aux États-Unis pour l’instant. Les histoires abordées par ces trois films sont toutes extrêmement différentes et ont été autant appréciées par la critique que par les spectateurs.

Si l’on parle ici de films gays, ceux-ci sont multiples et compliqués à définir tant ils recoupent des sujets différents. On veut donc, bien évidemment, parler d’œuvres cinématographiques qui mettent en scène des personnages homosexuels. 

“Une chose est sûre, la représentation des homosexuels au cinéma a considérablement évolué,” explique à Mashable FR Fabien Randanne, journaliste culture et médias pour 20 Minutes. “Ces dernières années, on voit de plus en plus de films grand public avec des personnages homosexuels dont la raison d'être dans un scénario ne se limite pas à leur orientation sexuelle. Cela va de pair avec l'évolution de la place des homosexuels dans la société.”

Cette supposition se vérifie en février dernier avec "Moonlight". Le film débarque des États-Unis entouré d’une aura positive et est très rapidement encensé par la critique française. L’œuvre, oscarisée avec la récompense du meilleur film un mois plus tard, raconte l’enfance et l’adolescence d’un jeune noir et de ses difficultés à accepter son homosexualité dans un environnement très pauvre. Le film est une réussite, mais rien ne le prédisposait vraiment, vu les thèmes qu’il aborde, à engranger plus de 563 000 entrées en France.

"120 battements par minutes", film fièrement gay et militant du réalisateur Robin Campillo, suit en août. Malgré le thème abordé  – la lutte contre le Sida dans les années 80 et la dureté du sujet – quasiment 900 000 spectateurs se déplacent en salles françaises, en faisant un succès. Une franche réussite, le film comporte en plus ce qui doit être l’une des plus belles scènes de sexe entre hommes cinématographique : un montage simple, une authenticité du jeu d’acteur et du sperme, oui du sperme, à l’écran. On est très loin de "Brokeback Mountain".

Un autre bon exemple est le succès, en Grande-Bretagne, du petit film indépendant "Seule la Terre : God’s Own Country" au Royaume-Uni, racontant l’histoire d’amour entre un fermier du Yorkshire et un immigré roumain venu l’aider à tenir la ferme. Rebelotte, succès critique et au box-office. Et puis, même s'il n'est pas encore sorti en France, on notera que "Call me by your name" est en bonne position pour récolter une floppée de prix outre-atlantique.

Évolution de la société

Ce qui caractérise ces quatre films, c’est la diversité des histoires abordées. De plus en plus normalisée dans la société, l’homosexualité ne choque plus sur le grand écran. Cyril Legann, le président du festival du film LGBT+ Chéries-Chéris, note tout de même que "ces films, même s’ils ont rencontré le succès, sont des films indépendants, qui ont grandi dans le circuit indépendant. L’homosexualité n’est pas encore un sujet mainstream".

"Les LGBT voient des films 'hétéros' et ça ne les empêches pas de se projeter dans les histoires"

Mais ce succès dénote un changement profond, notamment sur un présupposé qui entourait encore il y a quelques années les films traitants de thématiques gay : un film aurait besoin d’être vendu comme universel pour rencontrer un succès auprès du grand public. Exit, donc, les histoires d’amour homosexuelles, ou les films sur les Noirs. Et pourtant, la réussite de "Moonlight" prouve que l’on peut attirer un public large vers une histoire gay. 

À mesure que la société s’ouvre aux LGBT et que leurs vies deviennent moins mystérieuses, le grand public se rend compte de ce qu’il a en commun avec les minorités. "Dans '120 battements par minute', il est aussi question de luttes, d'activisme", note Fabien Randanne. "Une énergie d'indignation qui peut faire écho chez beaucoup de monde quels que soient les combats de chacun". Et puis, il faut aussi "inverser la chose : les personnes LGBT voient des films 'hétéros' à longueur d’années, et ça ne les empêches pas de se projeter dans les histoires”, raconte Cyril Legann à Mashable FR.

Où sont les lesbiennes, bisexuels et transexuels ?

Il y a, bien évidemment, plusieurs bémols à mettre à ces avancées. D’abord, parce que l’on parle ici uniquement de films avec des personnages homosexuels masculins. Le grand public n’a visiblement pas été au rendez-vous pour des œuvres présentant des personnages principaux lesbiens, bi ou trans. La pourtant très drôle comédie "Embrasse-moi" n’a par exemple fait que 30 000 entrées. Et si 2017 a produit de nombreux très beau films, on pense à "Thelma" et à "Une femme fantastique" (nommé aux Oscars), ceux-ci sont restés uniquement accessibles à un public averti.

Pour Fabien Randanne, l’explication est simple : "Dans la société en général, les lesbiennes sont invisibilisées. La double peine pour les lesbiennes, c'est qu'elles sont rarement représentées à l'écran et que, quand elles le sont, c'est souvent de manière problématique". Cyril Legann pointe également une différence, en termes de public :

"Le public gay est fédéré, il répond à la sollicitation dès lors qu’on lui parle"

"Le public gay est fédéré, il répond à la sollicitation dès lors qu’on lui parle. Un film gay estampillé de qualité, ils vont aller le voir. Alors que c’est plus compliqué sur les sujets trans et lesbiens. Les trans, vu leur part dans la population, ne sont pas une cible. Les sujets lesbiens, c’est un peu pareil, les femmes n’ont pas ce réflexe d’aller voir les films qui les concernent. La suspicion de récupération est plus forte, je pense."

Et les blockbusters alors ?

Et puis, si il faut célébrer la multiplication des films centrés sur des personnages LGBT, on ne peut pas en dire autant pour les blockbusters. Le dernier "Star Wars", qui a été célébré pour la diversité de son casting, n’en possède aucun. Et ne parlons même pas du "moment exclusivement gay" de "La Belle et la Bête". L'explication est avant tout économique, avance Cyril Legann, les blockbusters étant mondiaux : "D’un point de vue marketing, mettre un personnage homo, cela peut être très compliqué. Et puis il y a toujours le risque que ce soit cosmétique".

Les choses prendront du temps, note Fabien Randanne : “Il a fallu pas mal de temps pour voir une super-héroïne tenir un film sur ses épaules ("Wonder Woman"), il en faudra encore pour voir un super-héros vivre en couple avec un homme.”

Mais on sent déjà comme un frémissement du côté des gros studios. En exemple, "Love, Simon", qui devrait sortir l’année prochaine. Le teen movie semble cocher toutes les cases du genre : même producteurs que "Nos étoiles contraires", acteurs semblables et mêmes poncifs… Sauf qu’ici le personnage principal est homosexuel. "C’est sûrement le premier film vraiment mainstream avec un personnage gay", s’enthousiasme Cyril Legann.

Qu’ils soient un succès au box-office ou non, on ne peut que célébrer la diversité des sujets abordés par des films aux thématiques LGBT. Le fait que les minorités sexuelles soient de plus en plus représentées en France et ailleurs ne peut être qu’une avancée positive. Et les choses s’améliorent de jour en jour, souligne Cyrial Legann, "on n’accepte plus trop que les personnages trans soient joués par une personne cisgenre". On t'attend 2018.

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