
La Cour pénale internationale a estimé à 10 millions de dollars le montant des réparations destinées à des centaines d’enfants-soldats enrôlés par l'ex-chef de guerre congolais Thomas Lubanga. Les ONG se réjouissent, mais la somme reste à trouver.
En 2002 et 2003, ils avaient une dizaine d’années et ont été forcés de prendre les armes. Vendredi 15 décembre, la Cour pénale internationale (CPI) a fixé à 10 millions de dollars le montant des réparations collectives destinées à ces enfants-soldats enrôlés, à cette époque, en République démocratique du congo (RD Congo), dans la milice de l'ex-chef de l'Union des patriotes congolais (UPC) Thomas Lubanga. Des réparations "auxquelles Thomas Lubanga est tenu", a déclaré le juge Marc Perrin de Brichambaut.
L'ancien chef militaire a été condamné à quatorze ans de prison par la CPI en 2012, reconnu coupable d'avoir enrôlé des enfants et de les avoir utilisés comme soldats ou gardes du corps en Ituri, dans le nord-est de la RD Congo.
Les juges ont établi une liste de 425 victimes directes ou indirectes, en soulignant que "des centaines, voire des milliers ont été affectées par les crimes de M. Lubanga". Pour chacune, le préjudice a été évalué à 8 000 dollars, soit un total de 3,4 millions. La CPI a ensuite alloué 6,6 millions pour d'autres victimes qui pourraient être identifiées dans les mois ou les années à venir.
Il s'agit là de la troisième ordonnance de réparations rendue par la Cour de La Haye, mais c’est de loin la plus importante par le montant fixé et le nombre de victimes concernées.
Une reconnaissance du statut de victimes
"C’est une reconnaissance du statut de victimes de ces enfants-soldats, c’est une chose extrêmement importante. Cela permet qu’ils soient reconnus officiellement comme tels dans leur pays, au sein de leur communauté", se réjouit Philipppe Brizemur d’Amnesty International, qui a suivi le procès de Thomas Lubanga pour l’ONG, joint par France 24.
Xavier Maki, le secrétaire exécutif de l'ONG Justice Plus à Bunia, en Ituri, partage ce constat : "L'essentiel est que l'on reconnaisse qu'il y a eu des victimes dans cette affaire."
Une quinzaine d'années plus tard, ces jeunes restent stigmatisés, d'après des experts. De retour chez elles, souvent avec un enfant issu des viols qu'elles ont subis, de nombreuses filles sont rejetées par leur entourage, après avoir déserté les rangs des milices.
Le prêtre congolais Roger Mpongo, enseignant-chercheur qui œuvre en faveur de la réinsertion des enfants soldats en RD Congo, joint par France 24, salue lui aussi cette décision : "C’est bien, qu’au niveau juridique, une décision soit prise. Mais reste à savoir comment cela va se passer concrètement sur le terrain. Il reste de nombreuses questions. Qui va payer ? Comment va être réparti cet argent ? Comment identifier les victimes ?"
Dix millions : " un casse-tête "
"Thomas Lubanga est un chef déchu, aujourd’hui emprisonné au Congo et indigent", rappelle Philipppe Brizemur. Déjà, l’année dernière, la défense de l'ancien chef militaire, qui devrait être libéré d'ici 2020, avait assuré qu’il ne verserait pas un centime. "On ferait alors de Thomas Lubanga le bouc émissaire du phénomène des enfants-soldats en Ituri", avait assuré son avocat Jean-Marie Biju-Duval.
C’est donc le Fonds au profit des victimes qui sera chargé de mettre en œuvre cette ordonnance. Cet organe indépendant mis en place par le Statut de Rome, traité fondateur de la CPI, reçoit des contributions volontaires versées par les gouvernements membres de la Cour, d'organisations internationales et de particuliers. Il a déjà alloué un million d'euros à ce dossier et propose un plan d'action de trois ans visant à "réconcilier les victimes avec leurs familles et les communautés affectées" grâce à une aide psychologique et médicale, la scolarisation et une formation professionnelle.
Mais avec une réserve actuelle de 5,5 millions d'euros, il devra compter lourdement sur la participation des États membres pour parvenir à rassembler une somme équivalente à 8,5 millions d'euros. "Nous n'avons pas cet argent. (….) Et c'est notre casse-tête maintenant d'en faire une réalité pour les victimes. (…) Ce sera un vrai défi pour le Fonds", admet le directeur du Fonds Pieter de Baan.
De son côté, le gouvernement de République démocratique du Congo sera associé à ce processus et consulté pour savoir dans quel mesure il peut y contribuer.