
correspondante à New York – Inquiètes devant la baisse des candidatures d'étudiants étrangers depuis un an, les universités américaines se mobilisent pour combattre un possible "effet Trump".
Les sourires sont un peu crispés et les dos sont bien droits. Daniela, Xiang, Anastasiia et Nelson sont assis face à un parterre de journalistes, le 18 octobre, dans la prestigieuse université de Yale, dans le Connecticut. Les quatre étudiants, originaires respectivement du Brésil, de Chine, de Russie et du Nigeria, expliquent la manière dont leur établissement leur a permis de se sentir à l’aise aux États-Unis. Tous sont enthousiastes.
"Aux États-Unis, je n’ai jamais senti autant de soutien que depuis l’élection de novembre 2016, raconte Nelson, étudiant en médecine. “Mes camarades américains m’appelaient, voulaient savoir comment je vivais les choses. Cela m’a fait me sentir bien."
A ses côtés, Anastasiia, une jeune femme de Saint-Pétersbourg qui espère devenir journaliste, plaisante : "Moi, ici, on me demande sans cesse d’expliquer les actions du gouvernement russe, alors que je ne suis pas la plus qualifiée pour répondre. C’est la seule chose qui a vraiment changé depuis que Trump est au pouvoir”.
Le message est clair : dans cette prestigieuse université aux allées paisibles et aux bâtiments de vieilles pierres, la politique migratoire de Donald Trump provoque un débat dont on se serait bien passé.
Quelques semaines à peine de présidence Donald Trump ont suffi à plomber l’ambiance sur certains campus américains. En mars dernier, un rapport pointait déjà la baisse d'engouement pour les États-Unis chez les candidats internationaux. Selon cette étude de l’institut AACRAO (Advancing Global Higher Education), se basant sur des données collectées auprès de plus de 250 établissements restés anonymes, près de 40 % des universités ont enregistré une baisse du nombre de candidatures venant de l’étranger en 2017.
Si Yale, troisième meilleure université des États-Unis, dont le coût d'une année d'étude frôle les 70 000 dollars, n’est a priori pas concernée par ces statistiques, il n’en reste pas moins que l'atmosphère s'est crispée. “Les positions de Donald Trump inquiètent les étudiants et génèrent de l’angoisse”, explique Jane Edwards, doyenne de l’université en charge des expériences internationales et professionnelles.
“On ne sait pas ce qu’il va se passer et on ne peut pas le prédire”, résume la Brésilienne Daniela, dont le rêve a toujours été de venir aux États-Unis. “Cela fait des années que j’ai planifié tout mon parcours et je sais que cela pourrait être bouleversé. Je me rassure en me disant que pour l’instant mon pays, le Brésil, ne cause pas de problème”, ajoute-t-elle.
Eldorado universitaire synonyme de réussite, les États-Unis pâtissent désormais d’une image de mauvais hôte par delà leur frontière, pointe le rapport de l’institut AACRAO.
“Je pensais que tu sentirais le curry”
À quelques kilomètres de Yale, l’université de New Haven a moins fière allure avec ses bâtiments modernes de vitres et de béton. L’établissement se distingue néanmoins par son département de sciences médico-légales où étudie Sarbjeet Kaur, originaire du Punjab en Inde. Cette jeune femme de 27 ans pleine d’assurance est arrivée en 2016, armée du même sourire que celui qu’elle affiche en ce jour d’octobre alors qu’elle fait visiter ses salles de cours. Sur le campus, elle se sent intégrée mais “à l'extérieur, cela peut être différent", confie-t-elle.
Il lui semble que depuis l’élection de Trump, la parole de certains s'est libérée, pour le pire, comme cette fois où elle s'est entendue dire "je pensais que tu sentirais le curry vu que tu viens d’Inde". "Certains de mes amis ne veulent pas venir dans un pays où ils ont peur de ne pas être respectés. D’autres me disent même ‘rentre’, je leur réponds ‘hors de question!’", raconte-t-elle. "En Inde, on ne donne pas sa chance à une femme qui veut travailler dans la justice ou le droit", ajoute celle qui se passionne pour les possibilités offertes par l'ADN dans la lutte contre le trafic d’êtres humains.
Pour la rentrée 2017, l’université de New Haven a subi une baisse de 40 % des candidatures déposées depuis l’étranger, un coup dur pour un établissement dont le tiers des effectifs vient d’ailleurs que des États-Unis. Shobi Sivadasan, vice-présidente en charge des admissions internationales assure toutefois, non sans paradoxe, que les admissions ont, elles, augmenté.
Cette dernière doit s’envoler quelques jours plus tard pour la Chine, l’un des trois plus gros fournisseurs, avec l’Inde et l’Arabie saoudite, d’étudiants internationaux aux États-Unis. L’occasion de rassurer en personne ces potentielles recrues de plus en plus inquiètes. "Je vais leur dire que rien n’a changé ici et qu’ils peuvent venir."
“Trump a parlé au mauvais moment”
À New Haven comme sur les autres campus américains, ces inquiétudes sont prises au sérieux. Très convoités, les internationaux ont rapporté en 2015 plus de 35 milliards de dollars à l’économie américaine, selon le département du Commerce américain.
Au-delà des considérations financières, les équipes de direction mettent en avant les conclusions de diverses études pointant les bienfaits liés à la présence de différentes nationalités sur un même campus. Grâce à l’émulation, les étudiants américains développeraient leur esprit critique et leur capacité à questionner leurs propres croyances et systèmes de valeur.
Le Wheaton College, situé dans le Massachusetts voisin, fait partie des universités "chanceuses" qui ont été plutôt épargnées par la baisse des étudiants étrangers, selon les dires de son président Dennis Hanno. La chance est toutefois étrangère à l’affaire : cette belle performance a demandé “beaucoup de travail”. “L’université a dû être proactive dès le tout début du mandat de Donald Trump”, précise Dennis Hanno.
Le campus de l'université de Columbia à Manhattan
Ce dernier a eu l’idée de créer, dès janvier, une bourse permettant d’accueillir gratuitement un étudiant venant d’un pays en conflit, la Wheaton Refugee Scholarship. Une manière de démontrer la bienveillance de cette petite structure, qui rassemble 1 600 étudiants dont 15 % d’étrangers, envers de possibles candidats écartés par le décret présidentiel restreignant les règles d’immigration. Mais surtout, le Wheaton College a dû se montrer “généreux”. “Nous avons dû offrir des réductions de frais de scolarité plus importantes aux candidats internationaux. C’est crucial pour nous de maintenir leur nombre parmi nous”, explique Dennis Hanno.
Mais l’effet Trump a ses limites, reconnait le président Hanno. Les difficultés des facultés américaines pour attirer les internationaux s’étaient déjà fait sentir avant même l’élection présidentielle de 2016. "Les États-Unis sont souvent associés à un pays où il y a de l’insécurité. Des évènements comme la tuerie de Las Vegas ne sont pas une bonne publicité", explique-t-il. "Et puis la compétition est de plus en plus forte au niveau international. Le Canada ou la Chine disposent désormais d’excellentes universités". Le problème, résume-t-il, c’est que Trump "a parlé au mauvais moment”.
Visa H1B mon amour
À New York, deux jeunes Chinoises se tiennent par le bras à l’entrée de la Columbia university, considérée comme la quatrième meilleure université américaine pour les internationaux selon Forbes. Ces étudiantes de 23 ans, arrivées dans le pays il y a deux mois pour commencer leur Master, souhaitent rester anonymes et refusent d'être prises en photo car, croient-elles, "les Américains préfèrent que l'on soit discrètes". Elles arborent fièrement des casquettes flanquées du nom des lieux, comme pour mieux se fondre dans la foule. Leur désir d'être "éduquées à l'américaine" les a séparées de la majorité de leurs amis, ayant opté, eux, pour le voisin canadien.
“Nos amis ont changé leur projet d’étude après l’élection de Trump car ils ont peur de ne pas trouver de travail aux États-Unis. Ils sont tous au Canada”, explique l’une d’elles, cheveux longs et bagues aux dents. “En ce qui me concerne, je rentrerai à Shanghaï pour trouver un emploi."
Donald Trump a restreint ces derniers mois les conditions d’obtention et de renouvellement du visa H1B, destiné aux employés dits qualifiés ou spécialisés. Très prisé par les étrangers à la fin de leurs études, ce sésame est particulièrement populaire chez les cracks de l’informatique indiens.
“Aujourd’hui on a statistiquement très peu de chances d’obtenir un H1B. Avant tout, il faut décrocher un stage aux États-Unis pour pouvoir y prétendre, mais c’est difficile : j’ai envoyé 30 candidatures pour l’été prochain et je n’ai aucune réponse”, ajoute la jeune fille.
Au-delà du H1B, beaucoup relèvent une augmentation significative du rejet de visas étudiants. En septembre, huit jeunes venus de Chine et du Bangladesh n’ont pas pu faire leur rentrée à New Haven comme prévu. “On ne sait pas ce qu’il s’est passé”, dit Shobi Sivadasan, en charge des admissions.
Avant Trump, ce genre de cas de figure existait déjà. Sarbjeet Kaur, l’Indienne du Penjab, s’était elle-même heurtée à un refus en juillet 2016. “J’avais immédiatement demandé un nouveau rendez-vous, déclare-t-elle. Je leur avais dit ‘je viens pour étudier, pas pour m’amuser. Je paie 30 000 dollars l’année. Le jour où j’accomplirai quelque chose d’important, les États-Unis seront bien contents de pouvoir dire que j’ai étudié sur leur campus’.” A l’époque, elle avait obtenu gain de cause.