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Malgré l’espoir suscité par les promesses du nouveau président Mohamed Abdullahi Mohamed, le terrorisme prospère et se renforce en Somalie, pays morcelé et corrompu, frappé, samedi, par l’attentat le plus meurtrier de son histoire.

Les images du lieu de l’explosion sont saisissantes. Elles évoquent un tremblement de terre. Dans un rayon de plusieurs centaines de mètres autour du carrefour du quartier commerçant K5 de Mogadiscio, les bâtiments se sont effondrés, soufflés par la charge. De nombreux véhicules sont calcinés, le sol est jonché de débris. Samedi, la Somalie a été victime du pire attentat de son histoire. Le bilan est d'au moins 300 morts et 500 blessés. Trois jours après l’explosion, des corps brûlés ou déchiquetés continuent d’être extraits des décombres. De nombreuses personnes sont toujours portées disparues et des centaines de victimes n’ont pas encore été identifiées.

L’attaque n’a pas été revendiquée, mais tout désigne les islamistes shebab, liés à Al-Qaïda. "On ne voit pas qui d’autre aurait les moyens logistiques et l’intérêt de mener une opération de cette envergure", estime Marc Lavergne, directeur de recherches au CNRS interrogé par France 24. Les Shebab ont juré la perte du gouvernement central somalien, soutenu par la communauté internationale et par les 22 000 hommes de la force de l'Union africaine (Amisom).

Le président somalien Mohamed Abdullahi Mohamed n’a aucun doute sur les auteurs de cet acte dévastateur (entre 500 kilos et deux tonnes d’explosifs étaient chargés dans un camion, stationné près d’un autre camion de combustibles, selon des experts). "C'est une attaque horrible menée par les Shebab contre des civils innocents, qui ne visait pas des responsables gouvernementaux somaliens spécifiques. Cela montre combien ces éléments violents sont sans pitié, pour viser sans distinction des gens innocents qui ne faisaient que s'occuper de leurs affaires", a-t-il déclaré.

La fin l’état de grâce du président

Il y a moins de huit mois, en février 2017, l’élection de Mohamed Abdullahi Mohamed, dit Farmajo, avait suscité une vague d’espoir dans ce pays traumatisé par 30 ans de guerre civile. Populaire, cet ancien ambassadeur somalien aux États-Unis dans les années 1980, doté de la double nationalité, avait échafaudé un programme ambitieux sur la base de trois grandes promesses : rétablir l’unité du pays morcelé par les luttes claniques, lutter contre la corruption - le pays étant considéré comme le plus corrompu au monde, selon Transparency International - et éradiquer les Shebab en deux ans. Ses premiers pas comme dirigeant ont démontré une vraie volonté de redressement de l'État : formation rapide d'un gouvernement, renvoi de dizaines de fonctionnaires véreux, paiement des salaires des fonctionnaires... "La Somalie s’éveille", promettait-il. Depuis samedi, elle est à nouveau plongée en plein cauchemar.

"Le gouvernement est faible et instable. Le ministre de la Défense, le chef d’état-major et le porte-parole de la Défense ont démissionné la semaine dernière. L’armée reste une coalition de milices. La Somalie n’a pas les capacités pour se battre contre le terrorisme", affirme Matt Bryden, conseiller politique et stratégique au sein du groupe d'études Sahan Research, interrogé par France 24.

"On constate qu’il y a un échec de ce président, malgré tous les moyens humanitaires et diplomatiques que le pays reçoit, renchérit Marc Lavergne, du CNRS. Des fortunes sont déversées en Somalie, mais elles sont immédiatement détournées vers des paradis fiscaux par les gens qui sont au pouvoir. Il ne reste rien pour que les jeunes aient un avenir dans ce pays."

"La division entre le gouvernement fédéral et les provinces est un problème grave"

L’objectif de réunification du pays et de l’instauration d’un État de droit par le président Farmajo est quant à lui loin d’être rempli. "La Somalie reste un pays de tribus, de chefs de clans qui dirigent, qui s’entendent ou se battent en eux, loin du mythe de la Somalie comme état unitaire tel qu’il est né de l’indépendance en 1960. Il ne faut pas oublier tout ce substrat subjacent de la sociologie somalienne qui échappe complément aux Occidentaux", rappelle le chercheur du CNRS.

"Les Shebab sont partout dans le pays, pas seulement dans la capitale. Le gouvernement est obligé de coopérer avec l’ensemble des provinces. La division entre le gouvernement fédéral et les provinces est un problème grave. Il faut créer une armée et une police qui ne soient pas concentrées à Mogadiscio, ce qui est le cas depuis quelques années", estime Matt Bryden.

"Les Shebab sont en train de remplir un vide"

C’est dans ce contexte que les terroristes prospèrent. "Les Shebab sont en train de remplir un vide", explique Marc Lavergne. Le spécialiste constate que "les interventions internationales successives (…) se rétractent les unes après les autres, en particulier la force interafricaine de l'Amissom qui s’apprête à quitter le pays". "Elle coûte entre 900 millions et un milliard de dollars par an. Les contingents burundais et ougandais sont fatigués. L’Éthiopie se retire parce qu’elle a d’autres soucis internes, après la mort de Meles Zenawi. Et aussi parce qu’il existe une haine existentielle entre les Somaliens et les Éthiopiens", rappelle le chercheur.

"Après dix ans de bons et loyaux services, (l'Amisom) a atteint les limites de sa mission. Une transition doit débuter à partir de 2018 pour permettre aux forces de sécurité somaliennes de reprendre le rôle qui est le leur", expliquait dans les colonnes du Monde, fin juin, l’ambassadrice de l’Union européenne en Somalie, Véronique Lorenzo, qui louait "un gouvernement volontaire" et "compétent", "mais technocratique et issu de la diaspora."

Ce nouvel attentat a provoqué l'indignation de la population de Mogadiscio, qui est descendue dans la rue par centaines dimanche pour crier sa colère. Une colère qui pourrait se retourner contre le gouvernement, prévient Matt Bryden.