Certaines similitudes entre les affaires Weinstein et DSK ne sont pas qu'un hasard, à commencer par l'omerta qui a longtemps entouré, dans des univers différents mais mondains, ces deux hommes.
Impossible de ne pas y penser. La stupeur, qui a saisi Hollywood début octobre à la suite des accusations de harcèlement, d’agressions sexuelles et même de viols portées par des dizaines actrices contre le producteur Harvey Weinstein, a comme un air de déjà-vu en France.
La même sidération s’était emparée de l’Hexagone, lors de l’arrestation, le 14 mai 2011, à l'aéroport international John-Fitzgerald Kennedy de New York, de Dominique Strauss-Kahn. Celui qui était alors directeur général du FMI mais aussi candidat officieux à la présidentielle en France, était accusé par une femme de chambre d'agression sexuelle et de tentative de viol dans une suite du Sofitel de Manhattan quelques heures plus tôt.
À y regarder de plus près, les affaires Weinstein et DSK semblent être la déclinaison d’un même scénario : la chute rapide et inattendue d’un homme influent dans un monde de pouvoirs réputé macho – le cinéma pour l’un, la politique et la finance pour l’autre. Si ce sont bien les intéressés qui sont accusés d’avoir franchi la ligne blanche, il ressort que l’un comme l’autre ont bénéficié pendant des années, voire des décennies, d’une omerta. Car si Weinstein et DSK avaient un statut et une image, ils avaient aussi "une réputation".
Des années d’omerta
En 2007, quelques semaines avant l’élection de DSK à la tête du FMI, un journaliste de Libération, Jean Quatremer, déclenche un tollé en écrivant sur son blog : "Le seul vrai problème de Strauss-Kahn est son rapport aux femmes. Trop pressant [...], il frôle souvent le harcèlement. Un travers connu des médias, mais dont personne ne parle (on est en France)". De fait, dans le reste de la presse, difficile pour le grand public de déceler un quelconque comportement problématique chez celui que l’on préfère présenter comme "le tombeur de ces dames" (Paris Match, en 2009) ou "un séducteur invétéré" (Challenges en 2011).
À l’époque, pourtant, avant même l’affaire du Sofitel de New York et celle du Carlton de Lille, des cailloux sont déjà là… pour qui veut les voir. En février 2007, sur Paris Première, une jeune femme, Tristane Banon, a raconté que, cinq ans auparavant, Dominique Strauss-Kahn lui avait sauté dessus comme un "chimpanzé en rut" et qu’elle avait dû "se battre" pour lui échapper. En octobre 2008, le Wall Street Journal révèle une enquête interne menée au FMI sur DSK pour soupçons de favoritisme envers une subordonnée, sa maîtresse.
Le même silence a entouré Harvey Weinstein. En 2001, dans un portrait consacré au "Dieu" de l’industrie cinématographique hollywoodienne, un producteur new-yorkais lâche, sous couvert d’anonymat, au New York Magazine : "Il y a une histoire qu’il faudrait raconter au sujet de ce type mais vous ne la raconterez pas. Vous allez encore écrire l’histoire de cet incroyable génie du cinéma indépendant". En 2013, lorsque le comique Seth MacFarlane annonce les noms des nominées pour l’Oscar de la meilleure actrice, il s'exclame : "Félicitations à vous cinq mesdames ! Vous n’avez plus besoin de faire semblant d’être attirées par Harvey Weinstein". Des éclats de rires fusent dans la salle : la sortie n’avait rien, semble-t-il, d’une "private joke".
This is the the dig @SethMacFarlane made at Harvey Weinstein during the 2013 Oscars nominations. https://t.co/d0IAQ1DUrV pic.twitter.com/XxW5y6YxE7
New York Magazine (@NYMag) 12 octobre 2017Au Festival de Cannes, il était surnommé "the pig" ("le porc") en coulisses. L’actrice et réalisatrice italienne, Asia Argento, qui accuse Harvey Weinstein de l’avoir violée dans un hôtel de la Côte d’Azur en 1997 a, par ailleurs, dit qu’à la sortie de "Scarlet Diva", en 1999, plusieurs personnes avaient "reconnu" Harvey Weinstein derrière le personnage de l’agresseur du film.
I wrote and directed this scene in 1999. #Weinstein pic.twitter.com/VFRJQM0O4M
Asia Argento (@AsiaArgento) 10 octobre 2017Bataille médiatique plus que judiciaire
À ce stade, les actrices qui accusent Harvey Weinstein de harcèlement, d’agressions sexuelles et, pour quatre d’entre elles, de viols ont choisi de le faire dans la presse. Aucune plainte n'a encore été déposée. La police de New York a ouvert une enquête concernant une agression sexuelle présumée remontant à 2004. Le producteur est également visé par une enquête menée par la police britannique pour une agression sexuelle, qui aurait été commise dans les années 1980 dans la région de Londres. Mais les choses ne devraient pas s'arrêter là, le producteur étant soupçonné d'avoir sévi durant plusieurs décennies, obtenant à chaque fois que c'était possible le silence de ses victimes grâce à des accords de confidentialité grassement payés.
Weinstein et DSK ont un autre point en commun : un homme, le procureur général du comté de New York, Cyrus Vance Jr. Sans lui, disent certains, l'affaire Harvey Weinstein aurait pu éclater plus tôt. En avril 2015, une mannequin italienne, Ambra Battilana Gutierrez, avait fait une déposition contre Weinstein en l’accusant d’attouchements sexuels, enregistrement audio accablant à l’appui. Mais Cyrus Vance Jr avait décidé de ne pas engager de poursuites, influencé par le profil d’Ambra Battilana Gutierrez qui avait participé à des fêtes bunga bunga chez Silvio Berlusconi. Certains accusent le magistrat d’avoir enterré l’affaire et dénoncent le don de 10 000 dollars fait par la suite, par un des avocats d’Harvey Weinstein à la campagne pour la réélection de Cyrus Vance Jr. au poste de procureur démocrate. Or, c’est le même Cyrus Vance Jr qui avait été vivement critiqué par les avocats de Nafissatu Diallo, l’accusatrice de DSK, pour avoir décidé, dans un revirement spectaculaire, d'abandonner les poursuites pénales contre lui, faute de preuves. "Il est facile de comprendre que Vance ait pu hésiter à poursuivre des accusés célèbres s’il n’était pas absolument certain de les faire condamner", juge aujourd’hui le New Yorker. Reste que dans les deux cas, les deux hommes n'ont été reconnus coupables.
Depuis le début du mois, avec l’avalanche des témoignages d'actrices – Gwyneth Paltrow, Angelina Jolie, Judith Godrèche, Katherine Kendall, Emma de Caunes, Cara Delevingne, Ashley Judd, Léa Seydoux, Mira Sorvino, pour ne citer qu’elles – accusant désormais Harvey Weinstein, les allégations du mannequin italien sont vues sous un autre jour. Comme l’avaient été les accusations formulées par Tristane Banon à l’encontre de DSK quand l’affaire du Sofitel de New York a éclaté.