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Prix Nobel d'économie : et de 29 pour l'université de Chicago

Le lauréat du prix Nobel d'économie en 2017 a été décerné Richard Thaler, a mené des travaux sur l'étude des comportements psychologiques qui régissent les choix des consommateurs et des investisseurs.

Et à la fin c'est l'université de Chicago qui gagne. Richard Thaler, qui a reçu le prix Nobel d'économie lundi 9 octobre, perpétue une longue tradition : depuis sa création en 1969, c’est la vingt-neuvième fois que la récompense a été attribuée à un économiste issu de ce prestigieux établissement. Tous ont le même profil, celui d’un homme blanc, américain et âgé de plus de 65 ans (72 ans pour Richard Thaler).

Cet effet de répétition n'enlève rien aux mérites des travaux de Richard Thaler. Son apport à l'économie comportementale est indéniable :il est l’un des premiers à expliquer comment certaines caractéristiques humaines peuvent défier la rationalité économique. Il a ainsi montré que la peur de perdre quelque chose peut amener un individu à attribuer plus de valeur à un bien qu'il possède plutôt qu'à un autre qu'il n'a pas. Ces travaux sont essentiels pour apprécier la part psychologique dans la prise de décision économique.

Friedman vs Keynes

N'empêche. Encore un pur produit de l'université de Chicago. Pour les détracteurs du comité de sélection du Nobel, cette surreprésentation dénote une certaine inclinaison politique. L'école de Chicago est célèbre pour son opposition idéologique aux thèses keynésiennes, qui font souvent partie du bagage économique des politiques de gauche. Inspiré par la pensée de l'économiste Milton Friedman, ce courant de pensée libéral cherche à minimiser le rôle que l'État doit jouer dans l'économie, et à donner la part belle aux décisions de l'individu.

Il n'est pas historiquement étonnant que le jury du Nobel d'économie se sente proches de ces thèses. À sa création, le prix se voulait l'expression d'une pensée indépendante des politiques économiques menées par la plupart des États. Dans les années 1960 et 1970, cela signifiait trouver des économistes qui évoluaient en dehors des clous keynésiens... comme ceux de l'école de Chicago.

Mais le rapport de force a changé à partir de la fin des années 1970. Les thèses libérales se sont peu à peu imposées sur la scène économique. Pourtant, le prix Nobel d'économie a continué à être davantage attribué à des membres de l'Université de Chicago.

Une science économique qui se modérnise

Addiction aux thèses libérales ? Pas du tout, d'après Marie-Claire Villeval, directrice de recherche au groupe d'analyse et de théorie économique de Lyon - St Étienne pour le CNRS, contacté par France 24. "L'université de Chicago aujourd'hui n'a plus rien avoir avec les 'Chicago Boys' des années 1970", affirme-t-elle en référence à l'équipe d'économistes chiliens inspirés par les idées de Milton Friedman qui ont aidé à façonner la politique économique du régime d'Augusto Pinochet.

Richard Thaler n'entre pas dans les canons de l'école de Chicago. "Il a travaillé sur les limites de la rationalité des individus alors que dans la pensée de Milton Friedman, les agents économiques font preuve de rationalité absolue dans leur choix", argumente Marie-Claire Villeval.

Richard Thaler dans "The Big Short"

En ce sens, le Nobel d'économie 2017, loin d'être un nouvel hommage au libéralisme triomphant, est plutôt la reconnaissance d'une science qui se modernise. "Les travaux de Richard Thaler montre que l'économie s'est ouverte à d'autres disciplines, comme la psychologie, pour élaborer des modèles prédictifs plus performants", assure l'économiste. Richard Thaler a beau être un énième Nobel de l'université de Chicago, il modernise au lieu de perpétuer la tradition économique de cet établissement. À tel point qu'il est capable d'expliquer la crise des subprimes à la chanteuse Selena Gomez dans le film "The Big Short".