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En Colombie, six cultivateurs de coca opposés à l’éradication tués dans des affrontements

En Colombie, une manifestation de cultivateurs contre la politique d’éradication des plants de coca a dégénéré, le 5 octobre, faisant six morts. Accusée de ces meurtres, l’armée en impute la responsabilité aux "dissidents des Farc". Reportage.

À Tumaco, dans l’extrême sud-est de la Colombie (département de Nariño), les conflits autour de la culture de la coca, matière première pour la fabrication de la cocaïne, ne datent pas d’hier. La région est depuis des décennies une importante zone de production de cette plante et fait l’objet de luttes intenses pour le contrôle du narcotrafic en Colombie.

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Jeudi 5 octobre, au moins six cultivateurs de coca ont été tués par balles et 21 autres ont été blessés alors qu’ils protestaient contre une opération d’éradication menée par les forces armées colombiennes. Une équipe de France 24 s'est rendue sur place.

Des versions contradictoires

Un responsable d’une organisation paysanne, qui pour des raisons de sécurité n’a pas souhaité décliner son identité, a affirmé que 500 paysans se sont regroupés pour former un "bouclier humain" afin de protéger des champs de coca que les forces armées s’apprêtaient à arracher et brûler.

Un autre témoin a confié à France 24 que son "frère est mort parce qu’un policier lui a tiré dessus à bout portant". Tandis qu'un autre ajoute que "c’était une manifestation pacifique, parce qu’ici, comme tout le monde le sait, nous dépendons tous de la culture de la coca, mais ils (les soldats et les policiers) nous ont attaqués".

Certaines organisations vont plus loin et allèguent, à l’image de la Coccam (organisation de cultivateurs de la coca), qu’il "ne s’agit pas d’un affrontement mais d’un massacre de paysans". L’association Asominuma estime, quant à elle, que l’armée "a réagi de façon disproportionnée face à une manifestation pacifique".

Dans un communiqué commun, l’armée et la police affirment avoir fait face à des tirs d’obus de mortier artisanaux d’un groupe de guérilleros dissidents des Forces armées révolutionnaires colombiennes (Farc). Luis Carlos Villegas, ministre colombien de la Défense, a lui affirmé que ces mêmes rebelles ont forcé les paysans à manifester et ont abattu des cultivateurs. Il a également nommé le responsable de la tuerie : "Guacho", un responsable des Farc qui s’est désolidarisé de l’ex-guérilla il y a un an en compagnie d’une cinquantaine de combattants.

Le président Juan Manuel Santos a, de son côté, déclaré que "les forces de l’ordre ne tirent pas sur les civils" et ordonné l’ouverture d’une enquête. Les organisations paysannes locales doutent de la version gouvernementale, aucun soldat ou policier n’ayant été tué ou blessé dans l’opération.

Culture de la coca : éradication vs substitution

Un participant au mouvement de protestation s'explique : "un accord a été signé à La Havane, mais le gouvernement ne le respecte pas. Nous sommes opposés à l’éradication et c’est pour cela que nous avons manifesté".

L’accord de paix entre le gouvernement colombien et l’ex-guerilla des Farc, signé en septembre 2016, prévoit en effet la mise en place de programmes de substitution à la culture illégale de la coca, principale source de revenu pour de nombreux paysans pauvres.

Dans cette région de Colombie, les organisations paysannes soutiennent cette disposition de l’accord de paix, qui comprend la mise en place de filières agricoles qui permettent aux cultivateurs d’obtenir un revenu égal ou supérieur à celui tiré de la culture de la coca.

Aussi, quand les forces de l’ordre, fidèles à la politique d’éradication menée depuis des décennies, ont voulu arracher des plants de coca sans aucune alternative proposée par le gouvernement, les paysans se sont révoltés.

Réguler la production de coca, enjeu périlleux du processus de paix

Cet incident met en lumière les difficultés de mise en œuvre de l’accord de paix. La principale étant la persistance de groupes armés (principalement dans les régions bordant la côte pacifique) qui prospèrent grâce à la fabrication et au trafic de la pâte qui sert de base à la production de la cocaïne.

Qu’ils soient purement mafieux, des dissidents des Farc ou des paramilitaires, ces groupes tentent de contrôler des zones de grande pauvreté qui survivent grâce à la production de la coca. À Tumaco, 86 % des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté. Cette municipalité est aussi l’un des plus grands producteurs de feuilles de coca du pays.

Pour Jean Arnault, chef de la mission de l’ONU en Colombie, "ces évènements renforcent notre conviction que nous devons fournir aux paysans tous les moyens pour éviter d’avoir à choisir entre l’illégalité et la pauvreté".

Tout en ayant prohibé la dispersion de pesticide par voie aérienne pour éradiquer les champs de coca, le gouvernement s’est engagé à en éliminer cette année 50 000 hectares.

La surface des plantations de coca en Colombie a progressé de 52 % en 2016 par rapport à l'année précédente, et la production de cocaïne de 34 %, indique le rapport annuel de 2017 du Bureau des Nations unies contre la drogue et la criminalité (ONUDC).

Washington, qui a investi 10 milliards de dollars en 20 ans pour combattre la production de cocaïne en Colombie, a menacé, le mois dernier, de mettre Bogota sur une liste noire de pays liés au narcotrafic international.

Adaptation en français : David Gormezano