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Les établissements sénégalais proches du mouvement turc güleniste sont fermés depuis lundi, par ordre du gouvernement, qui souhaite remplacer leurs administrateurs par une fondation pro-Erdogan. La décision provoque un tollé à Dakar.

Une semaine sans cours. Depuis le 2 octobre, les 3 000 élèves et plus de 500 enseignants des neuf écoles privées Yavuz Selim, au Sénégal, ne peuvent se rendre dans leurs établissements, fermés par décret du ministère de l’Intérieur et bloqués par la police.

Le cœur du problème est une bataille diplomatique. Ces établissements de prestige, fréquentés par les enfants de l’élite du pays, ont été fondés dès 1997 par une association proche de l’intellectuel turc Fetullah Gülen, Başkent Eğitim (Association internationale pour le développement et la solidarité entre les peuples), et enseignent encore aujourd’hui ses préceptes. Or le président turc, Recep Tayyip Erdogan, accuse le prédicateur aujourd’hui exilé aux États-Unis d’être à l’origine du putsch manqué en juin 2016 dans son pays. Il cherche depuis, lors de ses visites diplomatiques, à détruire son influence mondiale, notamment en Afrique où les écoles du mouvement Gülen fleurissent depuis les années 2000. C’est déjà chose faite en Somalie, au Niger, en Guinée Équatoriale et au Maroc, pays qui ont fermé leurs établissements affiliés au mouvement.

Les autorités sénégalaises, en odeur de sainteté avec Ankara, ont aussi décidé de retirer, par arrêté, l’autorisation d’exercer à l’association Başkent Eğitim en décembre 2016, sans plus d’explications. Depuis, l’association Yavuz Selim SA, au capital détenu par des citoyens sénégalais et l’entreprise française Horizon Éducation, a repris le flambeau. "Ces écoles sont d’inspiration gülenistes, et ceux qui les gèrent jusqu’à présent se revendiquent du même mouvement, reconnaît auprès de France 24 Madiamba Diagne, président du conseil d’administration de Yavuz Selim. Mais cela ne veut pas dire que les élèves ou les parents d’élèves le connaissent, il n’y a pas d’affiche de lui dans les écoles, on ne parle pas de lui, ni même de la situation politique en Turquie."

La fermeture des écoles Yavuz Selim est officielle #senegal #kebetu pic.twitter.com/wXsAXmQTmN

  Seydina Ousmane Boye (@SeydinaOusBoye) 2 octobre 2017

Présence économique renforcée de la Turquie

Mais Dakar, et plus particulièrement le ministre de l’Éducation nationale, Serigne Mbaye Thiam, soutiennent que les nouveaux responsables des écoles "sont des personnes physiques ayant agi au nom de Başkent Eğitim . L'État du Sénégal ne peut accepter aucune solution directement ou indirectement s'il y a Başkent Eğitim, ou ceux qui l'ont créé, dans l'administration et la direction de l'école" , a lancé le ministre à l'émission Le Grand jury de RFM, le 1er octobre. Il a ajouté que la raison de la fermeture " n’est pas à porter à la connaissance du public", évoquant à demi-mot "les relations importantes avec un autre pays" qui ne doivent pas être mises en péril.

Ankara a ces dernières années renforcé sa présence économique au Sénégal, où sont présentes de nombreuses entreprises turques, parmi lesquelles Summa et Limak, qui ont terminé les travaux d'un nouvel aéroport international près de Dakar dont l'inauguration est prévue en décembre.

Crainte de modifications des programmes

À la demande des autorités, un arbitrage judiciaire doit déterminer dans les prochains jours si la gestion des écoles peut être transférée à la fondation Maarif, proche du pouvoir turc. Cette association a déjà récupéré la gestion des écoles gülenistes au Tchad, au Niger et très récemment au Mali, et étend son influence à chaque visite diplomatique du président Erdogan en Afrique.

Les administrateurs et certains parents d’élèves de Yavuz Selim craignent qu’un transfert de leurs établissements sous le giron d’une association pro-Erdogan ne modifie profondément les principes d’humanisme musulman et son credo "l’école avant la mosquée", enseignés par les écoles gülenistes. Pour ses détracteurs, Erdogan en tête, les écoles servent plutôt à "recruter des terroristes". Pourtant, jusqu’en 2013, le même président turc louait les méthodes de celui qui n’est devenu son pire ennemi qu’après leur divorce idéologique.

"Nos écoles sont le fleuron de l’éducation sénégalaise. Maarif n’a pas à venir nous spolier notre patrimoine, nous n’avons rien demandé, nous administrons parfaitement notre bien, pourquoi viendraient-ils s’ingérer dedans ?", s’interroge Madiamba Diagne. Jeudi 5 octobre, il a rencontré le ministre de l’Intérieur sénégalais afin de discuter de cette reprise. Il assure que l’option Maarif n'est plus sur la table, repoussant ainsi l’échéance de l’arbitrage judiciaire, et que le gouvernement sénégalais a proposé de prendre à son compte la gestion des écoles. Refus catégorique, là aussi, de Yavuz Selim, qui a proposé de nouvelles conditions, actuellement à l’étude par le gouvernement.

La situation restera donc bloquée jusqu’au lundi 9 octobre, où une nouvelle réunion entre les différents protagonistes doit avoir lieu à Dakar. Mais pour l’instant, le ministère de l’Éducation nationale semble camper sur ses positions. "Si on ne donne pas l’administration [de Yavuz Selim] à Maarif, cela ne veut pas dire que les écoles vont rouvrir", prévient Serigne Mbaye Thiam.