Les négociations en vue de la modernisation de l’accord de libre-échange nord-américain, l’Aléna, ont débuté mercredi. Que prévoyait cet accord ? Que lui reproche Donald Trump ? Quels sont ses objectifs ?
Des représentants du Canada, des États-Unis et du Mexique sont rassemblés depuis mercredi 16 août à Washington D. C. pour renégocier l’Aléna, une des obsessions du président Donald Trump. Un second tour de négociations est déjà programmé le 5 septembre au Mexique. Un troisième aura lieu au Canada. Mais de quoi parle-t-on, exactement ?
L’Aléna, c’est quoi ?
L’Aléna, l’accord de libre-échange nord-américain (North-american free-trade agreement en anglais, soit Nafta), est en vigueur depuis 1994. Cet accord "vise à instaurer une zone de libre échange entre les États-Unis, le Mexique et le Canada, en éliminant complètement les droits de douane sur la plupart des produits industriels", explique à France 24 Vincent Vicard, économiste au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII). À la différence d’une union douanière, comme l’Union européenne, l’Aléna ne prévoit pas de fixer un même tarif douanier à destination du reste du monde.
L’objectif d’augmenter les échanges, déjà importants, dans la moitié nord du continent américain est rempli : depuis 1994, les exportations américaines à destination du Mexique ont été multipliées par 3,5 une fois l’inflation corrigée, note le New York Times, soit une croissance deux fois plus forte que celle du reste de l’économie. Globalement, le commerce entre ces trois pays a bondi. Le volume des échanges est aujourd’hui supérieur à un trillion de dollars (mille milliards de dollars), une borne atteinte en 2015.
Que reproche Donald Trump à l’Aléna ?
Pour l’actuel président des États-Unis, l’Aléna est le "pire accord" jamais signé par son pays. Des mots forts, pour un homme d’affaires qui n’a certes pas l’habitude de mâcher ses mots. "Donald Trump reproche deux choses à l’Aléna, détaille Vincent Vicard. Son rôle supposé dans l’explosion du déficit commercial des États-Unis, premièrement". En 1994, lors de la signature de l'accord, ce déficit était en effet de 1,6 milliard de dollars en faveur des États-Unis. Il s’est aujourd’hui largement inversé, puisque Washington est chaque année déficitaire dans ses échanges avec son voisin au sud du Rio Grande, à hauteur de 60 milliards.
"Sa deuxième critique concerne la destruction d’emplois manufacturiers", poursuit l’économiste. Donald Trump estime ainsi que l’adoption de l’accord a entraîné la destruction de centaines de milliers d’emplois américains au profit du Mexique. "Pourtant, on a moins de preuves appuyant cette seconde critique. Certains secteurs ont été touchés mais d’autres vont mieux qu’avant la signature du traité."
L’Aléna a-t-il vraiment défavorisé les États-Unis ?
Comme souvent, les estimations varient d’une source à l’autre. Donald Trump s’appuie principalement sur une étude du think tank Economic Policy Institute – qui se présente comme non-partisan mais est généralement décrit comme d’inspiration libérale – qui affirme que près de 800 000 emplois auraient été perdus à cause des délocalisations au Canada et au Mexique.
Un rapport rendu en 2015 par une commission bipartisane du Congrès concluait toutefois que "l’Aléna n’a ni entraîné les destructions massives d’emplois que craignaient les adversaires de l’accord, ni les larges retombées économiques que prévoyaient ses partisans". "Il y a eu un gain pour ce qui est du bien-être pour les deux pays, même s’il a été beaucoup plus important pour le Mexique que pour les États-Unis", confirme Vincent Vicard.
Certains économistes avancent ainsi le fait que les emplois délocalisés sont en quasi-totalité de faible qualification, tandis que l’Aléna aurait encouragé le marché du travail américain à s’orienter vers des emplois de plus forte qualification et productivité, donc à haute valeur ajoutée pour le territoire américain. En outre, les secteurs touchés par ces destructions d’emplois – le textile, l’industrie automobile – connaissaient un ralentissement avant l’adoption de l’accord, qui ne peut donc en être intégralement tenu pour responsable.
Pourquoi Donald Trump a-t-il accepté de renégocier l'accord plutôt que de s’en retirer unilatéralement ?
C’était une promesse de campagne du président : quitter l’Aléna pour rendre des emplois aux Américains. L’histoire a montré, avec l’accord de Paris sur le climat, que Donald Trump n’hésitait pas à quitter les accords qu’il juge défavorables pour les États-Unis. Il a pourtant rétropédalé et accepté depuis le principe d’une renégociation, pour laquelle il devra sans doute faire des compromis.
Alors que s’est-il passé ? Officiellement, Donald Trump s’est montré à l’écoute de ses homologues canadien et mexicain, qui lui ont tous deux demandé de reconsidérer sa volonté de se retirer de l’accord. "Nos relations sont bonnes, un accord est très possible !", a-t-il tweeté, promettant toutefois de "mettre fin" à l’Aléna en cas d’échec des négociations.
I received calls from the President of Mexico and the Prime Minister of Canada asking to renegotiate NAFTA rather than terminate. I agreed..
Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 27 avril 2017...subject to the fact that if we do not reach a fair deal for all, we will then terminate NAFTA. Relationships are good-deal very possible!
Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 27 avril 2017Le lobby de l’industrie automobile a également pu jouer un rôle dans ce revirement. Une étude du Boston Consulting Group (BCS), commandée par les équipementiers américains et expliquée par Les Échos, alertait ainsi sur les conséquences que pourrait avoir un retrait de l’Aléna : l’étude promet la destruction de 25 000 à 50 000 emplois dans le secteur, ainsi qu’un surcoût de 16 à 27 milliards dû à la hausse des tarifs douaniers, de 20 à 35 %. Voilà des arguments auxquels Donald Trump, qui a remporté plusieurs États particulièrement dépendants de l'industrie automobile lors de l’élection de novembre 2016, a pu être réceptif afin de ménager ses électeurs.
Que veulent les États-Unis ?
L’objectif affiché par la Maison Blanche est simple : obtenir "un accord bien meilleur pour tous les Américains". Une stratégie explicitée par le conseiller à l’économie de Trump, Gary Cohn, qui a estimé dans un communiqué qu’il fallait "garder les parties qui fonctionnent, en particulier pour l’agriculture américaine, mais réparer celles qui sont défaillantes".
Les parties "défaillantes" concernent en premier lieu le déficit commercial, même si l’Aléna n’en est pas directement responsable, puisqu’il s’agit d’un déséquilibre entre les importations et exportations propre à la structure de l’économie américaine. Pour tenter d’infléchir ce déficit, "une possibilité serait de jouer sur les règles du 'contenu local' : pour pouvoir bénéficier de l’absence de droits de douane, les produits doivent contenir un minimum de composants locaux", explique Vincent Vicard. "Si la part obligatoire de composants américains était portée de 62,5 % à 75 %, par exemple, cela donnerait un avantage aux manufacturiers américains et réduirait la compétition avec les pays asiatiques à bas revenus", écrit le New York Times.
Washington voudrait aussi réviser le chapitre 19 de l’accord, à savoir le mécanisme de règlement des litiges commerciaux entre les États signataires, notamment en matière de droits compensateurs et de dumping. Ce dispositif, jusqu'à présent, a souvent été favorable au Canada, notamment sur le contentieux du bois de construction, alors que les producteurs américains accusaient leurs homologues canadiens d'exporter ce bois aux États-Unis à un prix inférieur aux coûts de production.
Le Canada et le Mexique peuvent-ils faire front commun ?
Face à cette renégociation, que les trois pays mentionnent pudiquement comme une "modernisation", les deux petits poucets que sont le Canada et le Mexique, face à l’ogre américain, réagissent de deux façons différentes.
Le Canada, dont les échanges ne sont pas aussi déséquilibrés en faveur des États-Unis, compte mettre la protection de l'environnement au cœur de la renégociation. La version modernisée de l'accord devra s'assurer "qu'aucun pays membre de l'Aléna ne puisse réduire la protection de l'environnement en vue d'attirer les investissements" et que tous "appuient pleinement les efforts pour s'attaquer aux changements climatiques". Ottawa veut aussi inclure la protection des travailleurs, l'égalité des sexes, les droits des autochtones et un meilleur processus de règlement des différends entre investisseurs et États.
Concernant le Mexique, "il s’agira plutôt d’intérêts défensifs, note Vincent Vicard. Mais le Mexique avait déjà accepté certaines règles sur le travail dans le cadre des négociations sur l’accord de partenariat transpacifique (en anglais Trans-Pacific Partnership ou TPP) depuis abandonné. Ces règles pourraient donc réapparaitre dans ces négociations."