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Les cadres de Nortel se rebiffent

Les cadres et les ingénieurs de Nortel France, filiale du groupe de télécommunications canadien du même nom, ont emboîté le pas aux ouvriers de New Fabris et JLG qui ont menacé de faire sauter leur usine si leur voix n'était pas entendue.

Ordinateurs portables, barbecues, et action sociale : c'est un cocktail inattendu qu'ont concocté les salariés du site Nortel France de Châteaufort, dans le département des Yvelines, en région parisienne, mercredi. Malgré les bureaux climatisés et les avantages auxquels leurs fonctions leur donnent droit, les cadres et les ingénieurs de l'entreprise ont menacé de faire sauter le site avec des bouteilles de gaz.

En cause : le plan social annoncé par Nortel France, qui prévoit la suppression de 480 emplois à l’usine de Châteaufort, après que l’équipementier canadien en télécommunications a déposé un dossier de mise en faillite au tribunal de Toronto, en janvier. Si la menace de détruire l’usine s’est avérée être une tactique pour attirer l’attention des médias - les grévistes ont ouvertement reconnu que les bonbonnes de gaz étaient vides -, leur inquiétude est, elle, bien réelle. Au neuvième jour de grève, ils réclament toujours une indemnité de 100 000 euros par employé licencié, soit un montant total de 48 millions d’euros, et savent qu'ils n'ont que peu de temps pour agir.

Couronnée de succès - une foule de caméras, de journalistes et d'envoyés spéciaux, ainsi que le ministre de l’Industrie, Christian Estrosi, se sont rendus à Châteaufort, mercredi -, leur stratégie n'a, en revanche, débouché sur aucune avancée concrète, ont annoncé jeudi des employés qui se sont entretenus avec Estrosi, à Paris.

Une vague de menaces

"On a posé les bombonnes de gaz symboliquement, car on savait qu’il fallait faire quelque-chose d’exceptionnel, explique Charles-Henri Descours, responsable des opérations à Nortel France. Cadres et cadres sup', nous sommes habitués à travailler 15 heures par jour. Jusqu'à présent, nous n'avons jamais eu besoin de faire grève pour faire passer nos revendications."

Du moins jusqu’au jour où le groupe Nortel a placé le site de Châteaufort en liquidation, à la suite de sa mise en faillite...

Les employés de Nortel France ne sont pas les premiers à avoir recours à des menaces de démolition pour se faire entendre. Dimanche, des employés de New Fabris, une usine de traitement de pièces automobiles située à Chatellerault, dans le département de la Vienne, ont fait de même. Eux menacent de faire sauter une partie des installations de leur usine si Renault et PSA (Peugeot-Citroën) refusent de leur verser une prime de 30 000 euros par employé licencié.

Mercredi, des salariés en grève de JLG, un fabriquant de chariots élévateurs et d'engins de levage, ont également annoncé qu’ils étaient prêts à détruire une partie de leur production en région bordelaise s’ils n’obtenaient aucune compensation pour la perte de leur emploi.

À Nortel France, les grévistes disent s’être inspirés des actions conduites ces derniers mois, afin de souligner les tensions croissantes qui se manifestent dans le monde du travail, sur fond de crise économique globale.

Avec ces menaces de démolition, une nouvelle étape dans les conflits sociaux a été franchie en France, alors que le pays a déjà été marqué par une série de séquestrations de dirigeants. Dans plusieurs entreprises, des salariés ont réussi à retenir l’attention des médias en enfermant leurs patrons, afin de les obliger à négocier des plans sociaux.

Une expérience enrichissante

Pour les cadres et dirigeants de l'usine de Châteaufort, peu habitués aux actions sociales et au syndicalisme, la grève est aussi une nouvelle expérience. Après quelques jours d’hésitation, le bureau de recherche et de développement s’est finalement transformé en atelier bricolage, où les employés produisent des posters, des banderoles, et même un petit cercueil à la mémoire de Nortel France. Les salariés affirment même avoir battu le record national de la grève de cadres.

“C’est quelque chose d’insolite, des cadres qui font une grève pendant plus de sept jours, du jamais vu ! Mais cela montre qu’on est mal !", déclare Lies Chouiter, un ingénieur trentenaire installé à côté d’un barbecue, près de l’entrée du site.

Les dirigeants de Nortel ont, eux-aussi, été surpris par les méthodes employées par le personnel. “Le premier jour, le PDG [Michel Clément] a rigolé. Le deuxième jour, quand il m’a vu distribué des tracts, il ne riait plus. Et le troisième jour, on ne l’a plus vu", raconte Descours.

L’esprit d’équipe

Les salariés ne se font pas d’illusions quant au sort de leur site. En revanche, ils estiment être en droit de recevoir une compensation "décente" pour leurs années de bons et loyaux services. Pour cela, ils sont prêts à se battre - certains ont même dressé des tentes pour camper à l'usine.

De leur côté, les administrateurs affirment que les coffres sont vides. "La difficulté essentielle, c'est que les salariés posent comme revendication d'avoir une aide au départ d'un montant élevé. Or, la trésorerie disponible de Nortel ne permet pas de verser cette somme", a déclaré à l'AFP Me Franck Michel.

Le 10 novembre 2008, Nortel a annoncé la suppression de 1 300 postes et le gel des augmentations de salaires, après avoir annoncé 3,4 milliards de dollars (américains) de pertes au troisième trimestre de 2008.

Mais à Châteaufort, le sentiment d’avoir été trompé pendant des années prévaut. "Le groupe Nortel a asséché la trésorerie de Nortel France avant d'engager la procédure de liquidation judiciaire, privant notre filiale de la possibilité de nous offrir un plan social décent", affirme le collectif, soutenu par la CFTC. “Les dirigeants de Nortel ont touché 45 millions de dollars (américains) de bonus après avoir déclaré la mise en faillite”, s’indigne de son côté Lies Chouiter.

“L’esprit Nortel, c’était l’intégrité, l’éthique. Nous, on y croyait. Mais quand l’intégrité ne l'arrange pas, la direction s’assoit dessus", renchérit Charles-Henri Descours.

La situation pourrait évoluer dès le 20 juillet, date à laquelle le comité d’entreprise de Nortel doit remettre un avis sur le plan de liquidation du site. Avant que le tribunal de Versailles ne statue sur le dossier et fixe les 480 employés sur leur sort...