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"Churchill" et la mode des biopics qui ne racontent qu'une tranche de vie

Plutôt que de raconter toute la vie de Winston Churchill, un nouveau biopic sur l’homme d'État britannique se concentre sur les deux jours qui ont précédé le débarquement de Normandie. Avant lui, Jackie Kennedy ou Chet Baker avaient eu droit au même sort.

Le biopic n’est pas mort, vive le biopic.

Entre 2007 et 2017, le site Allociné a répertorié près de 1 000 de films produits et rangés dans la catégorie "biopic". Avec un pic record de 126 films en 2016. Le genre biopic est plus que jamais à la mode. Mais comme il est loin d’être nouveau, il a bien fallu le renouveler.

Preuve en est avec le film "Churchill", réalisé par l’Australien Jonathan Teplitzki ("Broadchurch"), au cinéma en France le 31 mai. Pour raconter sous un nouvel angle la vie riche en rebondissements du mythique Premier ministre britannique, le réalisateur s’est intéressé à une période historique très resserrée : les 48 heures qui ont précédé le débarquement des Alliés sur les plages de Normandie, en juin 1944. On y suit un Churchill sensible et dépressif, engagé dans des négociations tendues avec le général américain Eisenhower et le roi George VI.

Avant lui, Jackie Kennedy, Chet Baker ou Django Reinhardt avaient aussi eux droit à des biopics centrés sur une période bien précise de leur histoire.

Pour Yvelin Ducotey, doctorant à l’université d’Angers qui rédige une thèse le genre du biopic, cette "nouvelle tendance principale" a émergé il y a une dizaine d’années, avec le film "The Queen" de Stephen Frears – un portrait de la reine Elizabeth II pendant les jours qui ont suivi la mort de Diana, sorti au cinéma en 2006. "Les réalisateurs avaient épuisé la formule du biopic académique, il était temps de renouveler ce genre connu depuis longtemps", analyse le chercheur pour Mashable FR.

Des biopics depuis les années 1900

Et pour cause. Le genre du biopic existe depuis plus d’un siècle. Parmi les premiers exemples, on peut évoquer le film muet du Français Léonce Perret sur Molière sorti en 1909 ou les films de l'Allemand naturalisé Américain William Dieterle sur "La vie de Louis Pasteur" en 1936 et "La vie d’Emile Zola" en 1937. "C’étaient de bons films, mais ça ressemblait plus à des exposés d’école ou à des biographies officielles", explique à Mashable FR l’acteur Brian Cox, qui incarne Churchill sur grand écran.

Aujourd’hui, exit les grandes fresques historiques et place aux tranches de vie qui permettent au spectateur de mieux s’identifier au personnage principal. "Le biopic traditionnel était plus proche d’un document historique ou littéraire, raconté au passé et à la troisième personne ; la version haute-définition, même si elle évoque toujours des événements du passé, est narrée au présent et à la première personne, avec beaucoup d’intensité et fait en sorte de nous identifier à des super-héros aux traits de caractère universels", écrit le journaliste Phil Hoad du Guardian. Un avis partagé par Yvelin Ducotey : "À la différence d’un film sur une vie entière qui peut laisser une impression de rester en surface, un film sur une période serrée offre une meilleure connaissance du héros, et un aperçu historique plus complet."

"Raconter un moment de crise révèle la complexité d'un personnage"

Pour Brian Cox, qui a participé aux travaux de recherche préparatifs au film, la vie de Winston Churchill nécessiterait plusieurs films. Le choix de suivre un héros dans un moment de crise permet en fait de révéler toute la complexité d’un personnage. "Raconter Jackie Kennedy dans les heures qui ont suivi la mort violente et soudaine de son mari (comme l'a fait Pablo Larrain dans le biopic "Jackie", NDLR), c’était apporter un regard très précis et juste sur la vie de quelqu’un qu’on avait toujours connu sous contrôle", continue Brian Cox.

"Et de la même façon, si vous deviez faire un biopic sur la princesse Diana, le plus intéressant serait de parler du moment où son mariage prend fin, de montrer comment elle a vécu son aliénation lorsqu’elle a été mise à la porte de Windsor. Cela nous dirait beaucoup plus sur Diana que ce qu’on en sait jusque-là."

En plus de moderniser un genre éculé, les réalisateurs de nouveaux biopics parviennent ainsi souvent à raconter des histoires plus intenses et plus profondes. Avec le risque de créer parfois un sentiment de frustration. Quel a été le passé de ce personnage qu’on suit intimement pendant deux heures et quelles ont été les conséquences de son acte ce jour-là ? Le film ne le raconte souvent pas. Sauf lorsqu’un réalisateur y glisse des flashbacks ou un épilogue sous forme de texte avant le générique.

Améliorer la compréhension de l'Histoire

En littérature, Hans Renders, le directeur de l’Institut de la biographie de l’université de Groningen aux Pays-Bas, parle de partial biography, ou biographie partielle (parce que la vie n’est racontée qu’en partie) et partiale (car dépeinte d’un certain point de vue). Et pour ce spécialiste, cela n’empêche pas une compréhension plus large d’un événement historique : "Les partial biographies ne servent pas seulement à mieux comprendre la vie d’une personne, mais aussi à améliorer notre compréhension de l’Histoire au-delà de cette vie."

Brian Cox, lui, espère bien que ce film sur quelques jours précis de juin 1944 fasse passer un message aux dirigeants politiques actuels : "Churchill était extrêmement avisé de sa position et de son rôle parce qu’il lui a fallu du temps pour y arriver. Et il n’était pas question pour lui d’arriver au pouvoir et de dicter la loi. Il est était un super dirigeant, et je crois que cela prend encore plus de sens dans la situation qu’on vit aujourd’hui avec nos leaders mondiaux, plus particulièrement au Royaume-Uni et aux États-Unis, où l’on a des gens qui ne sont pas vigilants et réfléchis quant à la position qu’ils occupent…"

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