La politique spatiale de la France n’a pas été évoquée durant la campagne présidentielle, sauf dans les programmes de Jacques Cheminade et Jean-Luc Mélenchon. Les politiques français ont-ils abandonné la conquête de l’espace ?
Il faut le dire clairement : le développement de la politique spatiale française n’est pas la priorité des onze candidats à l’élection présidentielle française. Depuis le début de la campagne, aucun n'y a fait allusion. Et à quelques jours du premier scrutin, seuls Jacques Cheminade et Jean-Luc Mélenchon ont fait connaître une ambition précise pour la politique spatiale.
Pourtant, la France est le premier contributeur de l'Agence spatiale européenne et notre pays participe activement dans le financement et la mise en place de projets tiers, comme le lancement de la fusée Ariane 6 ou la création de la mission ExoMars. Après les États-Unis, la France dispose ainsi du deuxième budget spatial au monde : les ressources du Centre national d’étude spatiale (CNES) ont atteint 2,3 milliards d’euros en 2017. Au vu de l'investissement, une politique spatiale lisible apparaît comme nécessaire.
La conquête de l'espace en plein développement
Imagine-t-on un candidat à l’élection présidentielle américaine ne pas se prononcer sur les activités ou les fonds alloués à la NASA ? Avant son élection, Donald Trump fustigeait publiquement les choix faits par Barack Obama concernant l’agence spatiale américaine. Durant la campagne de 2016, les équipes d'Hillary Clinton et Donald Trump avaient répondu aux questions du magazine SpaceNews sur leurs ambitions spatiales. Et le nouveau président Donald Trump a récemment fait savoir quelle serait la politique spatiale de son mandat. Outre-Atlantique, la question de la politique spatiale se pose nécessairement, à chaque élection.
Comme le note en substance Jacques Touja, passionné d’astronomie et créateur du blog Agences spatiales, dans une pertinente lettre ouverte envoyée aux candidats, la course à la conquête spatiale n’a pas disparue. De nombreuses choses vont se dérouler dans les années à venir, notamment du côté des entreprises privées. Blue Origin et SpaceX se tirent la bourre pour savoir qui sera la première société privée à lancer une mission habitée vers la Station spatiale internationale, tandis que Moon Express et SpaceIL cherchent à remporter le Lunar X Prize de Google pour devenir la première boîte privée à explorer la Lune.
Le CNES est devenu l’agence spatiale nationale la plus importante de l’UE et le plus gros financeur de l'ESA
Dans le même temps, la Chine s’apprête à lancer un module sur la Lune et a pour ambition de le faire revenir sur Terre. Avec l’aide de la Russie, le pays envisage également de construire une nouvelle station spatiale internationale. Du côté de l’Afrique, certains pays se positionnent aussi. En janvier dernier, l’Ethiopie a notamment annoncé le lancement en orbite de son premier satellite dans les trois à cinq prochaines années.
En somme, l’actualité autour de la découverte de l’espace est forte. Et l’engouement populaire des Français l’est tout autant, en témoigne la ferveur autour du départ de Thomas Pesquet vers l’ISS en novembre dernier.
Comment fonctionne la politique spatiale française aujourd'hui ?
Alors, pourquoi les hommes et femmes politiques semblent-ils se désintéresser de l'espace ? La France est-elle devenue effacée, voire absente dans la conquête de l’espace ? Revenons (très) rapidement sur l'histoire de notre pays en matière de conquête et sur le fonctionnement actuel de nos institutions spatiales.
En 1965, la France faisait son entrée dans la cour des "grands de l’espace" grâce au lancement de la fusée Diamant, la première fusée construite en dehors des États-Unis ou de la Russie. Puis en 1975 l’Agence spatiale européenne, qui rassemble les pays membres de l’Europe sous une bannière commune, fut créée. Le lancement de la première fusée commune, Ariane 1, en 1979 depuis la base de Kourou, en Guyane, marque le début de l’indépendance européenne vis-à-vis des États-Unis en matière spatiale.
Depuis 1961, le CNES, créé par Charles de Gaulle, est devenu l’agence spatiale nationale la plus importante de l’UE et le plus gros financeur de l'ESA. Comme nous le disions plus haut, son budget atteint 2,3 milliards d'euros en 2017, soit 35 euros par an et par habitant. En collaboration avec l'Agence spatiale européenne et Arianespace – la société française chargée de la commercialisation et de l'exploitation des systèmes de lancement développés par l'ESA – c'est l'organisme public qui propose la politique spatiale de la France au gouvernement et s'occupe de son application. Celle-ci se divise en cinq grands thèmes : Ariane, les sciences, l'observation spatiale, les télécommunications et la défense.
"Il nous faut préparer dès aujourd’hui un vaste projet de reconnaissance et de mise en valeur de la Lune"
Mais concrètement, le cadre européen de coopération spatiale constitue le niveau supérieur de la politique française en terme d'espace. La France a ainsi un siège parmi les 22 pays membres de l'ESA et valide les directions prises par l'agence. C'est d'ailleurs le premier pays contributeur de l'ESA, finançant 22,7 % de son budget, soit plus de 800 millions d'euros annuels. De fait, notre pays est ainsi au cœur des choix réalisés par l'Agence, comme l'envoi des missions en 2018 de Solar Orbiter (une étude rapprochée du soleil), de Cheops (études d'exoplanètes) ou la création du téléscope James Webb (pour l'étude de l'univers lointain).
Le programme de Jean-Luc Mélenchon
On l'aura compris : le prochain gouvernement devra valider les activités de la CNES, et la France a son mot à dire dans les choix de l'Agence spatiale européenne. Une politique spatiale française lisible apparaît donc nécessaire. Problème : seuls Jacques Cheminade (Solidarité et Progrès) et Jean-Luc Mélenchon (La France Insoumise) ont explicité quelles seraient leurs priorités dans le développement spatial de la France.
Ainsi, dans sa collection de livrets thématiques, la France Insoumise a publié un feuillet intitulé "L'espace : notre horizon commun" qui détaille les propositions du candidat Mélenchon. Il s'agit principalement d'expliciter sa vision de l'espace, qu'il veut partagée entre les nations et hors des intérêts privés, écologique et au service de la défense nationale. Néanmoins, ce projet a été détaillé plus précisément dans un court texte intitulé "Contribution pour la politique spatiale française", où le candidat parle de six de ses priorités spatiales :
- "Empêcher la privatisation de l’accès à l’espace" : le candidat souhaite notamment réaffirmer l'interdiction de la propriété privée dans l'espace, reprendre le contrôle public de Arianespace et dépolluer l'espace proche de la Terre.
- "Garantir l’achèvement des grands programmes en cours et préparer l’avenir" : il s'agit de terminer le programme européen Galileo, de mettre en place la fusée Ariane 6 avant 2020 et d'obtenir un lanceur réutilisable avant 2025.
- "Maîtriser la procédure de rentrée dans l’atmosphère et l’envoi de vol habité français" : être en mesure d'envoyer des vols habités français dans l'espace.
- "Poursuivre la présence permanente de l’être humain dans l’espace" : pour cela, le candidat souhaite "poursuivre et renforcer" la coopération avec la Russie, la Chine, l'Inde et la NASA, notamment concernant le financement de la Station spatiale internationale, dont les budgets s'arrêtent à 2024.
- "Découvrir de nouvelles exoplanètes" : le candidat propose de "continuer à développer des observatoires terrestres et spatiaux de plus en plus puissants" pour intensifier la découverte de nouvelles planètes.
- "Sortir de l’orbite terrestre, viser un vol habité interplanétaire vers Vénus et Mars" : si la possibilité d'envoyer des vols habités vers Mars est loin d'être une nouveauté, la planète Vénus n'a jamais été un objectif en soit des astronomes. C'est une première que propose Jean-Luc Mélenchon.
Le programme de Jacques Cheminade
Concernant Jacques Cheminade, l'affaire est plus vaste. Pour le doyen des candidats à l'élection présidentielle, l'espace est un "impératif économique et culturel" et le "fer de lance de [son] engagement politique", comme il est écrit sur son site de campagne. Concrètement, comment le candidat voit-il le développement de sa politique spatiale ? Il le détaille en plusieurs étapes successives.
D'abord, la mise en place d'un "vaste programme d’exploration robotisée, d’observation radio-astronomique et de veille spatiale depuis la Terre" doit faire l'objet d'un "financement massif" pour protéger l'homme des "radiations cosmiques" et des divers dangers venus du Cosmos. Dans une dynamique similaire, et comme Jean-Luc Mélenchon, Jacques Cheminade entend dépolluer l'espace. "La concentration de débris spatiaux en orbite terrestre, impliquant le risque de collision en chaîne, est une menace qui pèse sur toutes nos futures missions", avance-t-il.
"Il faut envisager une quasi-autonomie de l’être humain dans l’espace"
Il souhaite la création d'une base permanente sur la Lune, qui permettra de s'élancer vers la conquête de Mars. "Il nous faut préparer dès aujourd’hui un vaste projet de reconnaissance et de mise en valeur de la Lune et envisager, d’ici deux générations, une quasi-autonomie de l’être humain dans l’espace", affirme-t-il. Pour atteindre ces objectifs, le candidat souhaite l'avènement d'un "ministère de l'Exploration et de la Recherche spatiale", afin de faire participer la France à un nouvel "Institut européen de recherche lunaire et spatiale". Ces deux projets devront encourager la pédagogie en matière de recherche spatiale, notamment par la création d'un "grand projet d'éducation scientifique et culturelle" dans les lycées et universités. Ainsi, ces nouveautés permettront de créer "cinq millions d'emplois en cinq ans nécessaires à notre économie humaine et à notre économie physique du futur".
Un projet qui peut sembler ambitieux, voire loufoque tant le candidat accorde de l'importance à l'espace, mais qui rompt totalement avec l'absence apparente de vision de neuf des candidats à l'élection présidentielle. Malheureusement, cela n'a pas créé beaucoup d'émules.
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