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Le Venezuela, ébranlé par une crise politique et économique, est de nouveau en proie à des manifestations depuis 15 jours. Une situation qui fragilise de plus en plus le président Maduro. Jeudi, un cinquième manifestant est décédé dans des heurts.

C'est la cinquième victime depuis le début des manifestations massives contre Nicolas Maduro, qui agitent le Venezuela depuis début avril. Un homme des 32 ans est décédé, jeudi 13 avril, après avoir été touché par une balle lors d'un rassemblement contre le président vénézuélien dans l'État de Lara, dans le nord-ouest du pays.

Les manifestations antichavistes, du nom de l’ancien président Hugo Chavez (1990-2013), sont quotidiennes. Les protestataires reprochent à son successeur Nicolas Maduro de s’accaparer les pouvoirs sur fond de dégradation de la situation économique. L’opposition politique, réunie dans une vaste coalition, réclame quant à elle des élections anticipées.

"La mobilisation est très suivie", explique Frédérique Langue, directrice de recherche au CNRS-IHTP (Institut d'histoire du temps présent) et spécialiste du Venezuela, jointe par France 24. "80 % des Vénézuéliens, chavistes compris, sont favorables à une alternance, ce que les chavistes purs et durs et le PSUV (Parti socialiste unifié du Venezuela) rejettent. Les affrontements sont violents, les manifestants gazés, certains exécutés, des tanks parcourent les principales villes du pays."

"Une dégradation accélérée des mécanismes démocratiques"

Nicolas Maduro, qui a a accédé au pouvoir en 2013 avec une très faible majorité (51 %, face à Henrique Capriles), est tenu pour responsable de la forte dégradation des conditions de vie des Vénézuéliens : récéssion, inflation, pénuries perpétuelles. Une situation qui vaudra à son gouvernement d’être sanctionné lors des législatives de décembre 2015. L’opposition est depuis majoritaire à l’Assemblée. Mais après 15 mois de cohabitation houleuse, le président socialiste prend tout le monde de court.

"Maduro décide d'illégaliser cette Assemblée", explique Eduardo Rios, docteur en science politique et membre de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes, joint par France 24. "Il commence par remplir le Tribunal suprême de justice [TSJ, la haute instance judiciaire vénézuélienne, NDLR] de magistrats très politiques, qui vont au long de l'année énucléer l'Assemblée nationale." Puis il refuse de tenir le référendum révocatoire et ajourne les élections régionales.

Selon Frédérique Langue, on assiste alors à "une dégradation accélérée des mécanismes démocratiques et à l’affirmation d’une 'dictature judiciaire' visant à conforter la mainmise du président Maduro et de ses partisans sur le système politique et judiciaire".

La situation devient explosive quand le TSJ s’arroge brièvement fin mars les pouvoirs du Parlement. Les chavistes pro-Maduro concentrent alors entre leurs mains l’ensemble des pouvoirs. Mais devant le tollé provoqué, l’instance judiciaire fait machine arrière 48 heures plus tard. L'opposition, remontée, ne désarme pas

Le principal leader de l'opposition mis hors jeu

L’escalade continue alors. Le 7 avril, un nouveau Rubicon est franchi. Le principal leader de la contestation, Henrique Capriles, est privé de ses droits politiques pour quinze ans par la Cour des comptes. Il est accusé de mauvaises gestions des fonds publics dans son gouvernorat de Miranda, dans le nord du pays. Il ne pourra donc pas se présenter à la présidentielle de 2018, pour succéder à Maduro en janvier 2019.

URGENTE: Informo al país y la opinión pública internacional que se me está notificando en este momento de una INHABILITACIÓN por 15 años

— Henrique Capriles R. (@hcapriles) 7 avril 2017

"Henrique Capriles est un personnage très intéressant. Il était une figure montante de la politique démocrate-chrétienne vénézuélienne des années 1990. Il a été élu président de l'Assemblée nationale très jeune, en 2000, parce que Chávez allait la dissoudre", détaille Eduardo Rios. "Il a été deux fois candidat à la présidence de la République : en 2012, où il échoue face à Chavez avec seulement 44 % des scrutins, puis contre Maduro en 2013."

Depuis l'annonce de cette décision, les opposants antichavistes sont galvanisés. Ils défilent quotidiennement pour réclamer le départ de Nicolas Maduro. Leurs trois principales revendications sont : le retour à l'ordre constitutionnel de 1999 – année de l'accession d'Hugo Chavez au pouvoir–, l'organisation rapide d'élections et la remise en liberté des prisonniers politiques.

Un schisme dans le chavisme

Depuis quelques mois, les antichavistes ne sont plus les seuls à contester Nicolas Maduro. Au sein même du chavisme, le président actuel ne fait plus l'unanimité. Certains s'inquiètent de la dérive autoritaire du dirigeant, à l'image de la procureure générale Luisa Ortega, nommée sous Hugo Chávez, qui reste attachée au respect des institutions.

"Elle a pris ses distances avec Maduro, elle a évité d'inculper les dirigeants de l’opposition, et limité les pouvoirs policiers des 'escadrons chavistes' (groupes paramilitaires appuyant le pouvoir, NDLR) et surtout, elle a refusé le 29 mars que Maduro s’arroge les pouvoirs de l’Assemblée nationale", détaille Frédérique Langue.

D'autres chavistes ont un intérêt plus stratégique à déstabiliser le président en place : "La question qui taraude le chavisme est l'après-2019", analyse Eduardo Rios. "Nicolas Maduro veut se présenter [à la présidentielle], mais de nombreux chavistes s'y opposent. Pour cela, ils veulent lui montrer que ce serait la défaite électorale assurée du chavisme. Ils demandent la tenue des élections régionales" pour que Maduro s'y casse les dents, résume le chercheur.

L'Organisation des États américains met la pression

Dans ce contexte, le pouvoir vénézuélien apparaît de plus en plus isolé. L'Organisation des États américains (OEA), une organisation internationale rassemblant l'ensemble des pays du continent, a émis de vives critiques sur le gouvernement de Maduro.

"Le Venezuela a besoin d'un gouvernement légitime", a déclaré lundi 10 avril le secrétaire général de l'OEA, Luis Almagro, en déplacement au Brésil.

Luis Almagro: "Venezuela necesita un gobierno legítimo" https://t.co/Zk3fTuCGQn pic.twitter.com/Hbq8TF8Gng

— Infobae América (@InfobaeAmerica) 11 avril 2017

"Nicolas Maduro a encore des amis et des créanciers qui ont un grand intérêt à voir le Venezuela survivre. Ses créanciers sont la Russie et la Chine", détaille Eduardo Rios. "Au niveau latino-américain, il lui reste la Bolivie, l'Équateur, le Nicaragua et Cuba. Mais il a perdu le soutien des grands pays de la région (Brésil, Argentine et Mexique), ainsi que celui de la gauche modérée (Chili et Uruguay)."

Malgré ces pressions, "Nicolas Maduro devrait rester au pouvoir jusqu'en 2019 et n'a aucun intérêt à voir les choses changer", avance Eduardo Rios. "La sortie de crise demeure peu probable dans les prochains jours", estime également Frédérique Langue.

En attendant, les antichavistes appellent à défiler massivement lors de la "mère de toutes les manifestations", le mercredi 19 avril à Caracas.