
Au Mexique, un jeune homme accusé de viol vient d'être acquitté par la justice, au motif que son acte n'était motivé par "aucune intention sexuelle". Exemple d'une justice inégale et d'une culture du viol bien ancrée, l'affaire dérange.
Au Mexique, si vous agressez sexuellement une personne "sans intention sexuelle" et "sans y avoir pris de plaisir", vous n'avez pas commis d'agression sexuelle.
C'est en tout cas ce qu'a décidé un juge mexicain, Anuar González, au sujet d'une affaire de viol. Les faits sont glauques à souhait, les attouchements avérés, mais aucun coupable n'a été désigné.
Le 1er janvier 2015, à Veracruz au Mexique, quatre jeunes hommes sortent d'une boîte de nuit. Jorge Cotaita Cabrales, Gerardo Rodríguez Acosta, Diego Cruz Alonso et Enrique Capitaine sont tous fils de bonne famille. Ce soir-là, ils interpellent une jeune femme, Daphne Fernández, 17 ans. Les quatre jeunes hommes la forcent à monter dans leur voiture avant de l'agresser sexuellement en chemin. Diego Cruz Alonso est accusé d'avoir touché ses seins et de l'avoir pénétré avec ses doigts sans le consentement de la jeune fille.
Quiero vivir sin miedo. En un país seguro, justo. Sin tipos como #juezporky. #JusticiaParaDaphne pic.twitter.com/Grwbk3Qghw
— Eréndira Derbez (@erederbez) 29 mars 2017
"Je veux vivre sans peur. Dans un pays sûr, juste, sans types comme le #jugePorky"
Dessin : "Je veux vivre dans un pays où les institutions garantissent ma sécurité"
Le jeune homme fuit en Espagne. Puis, à l'issue d'un mandat d'Interpol, les autorités espagnoles l'arrêtent et l'extradent vers le Mexique, où son procès démarre.
"Juste pour humilier"
Les faits physiques – l'attouchement du corps de Daphne Fernández par Diego Cruz – ne sont pas contestés : ils ont bien eu lieu. Mais devant la justice, un critère semble dépasser tout cela : l'intention de l'accusé. Or, le juge considère que Diego Cruz a agi "sans intention charnelle" mais "juste pour humilier". "Les attouchements ou les frottements accidents, en privé ou en public, ne sont pas considérés comme un acte sexuel s'ils ne sont pas accompagné d'une 'intention de satisfaire un désir sexuel aux dépends de la victime", détaille la décision finale.
#JusticiaParaDaphne pic.twitter.com/jlKWWi8obe
— Stephania Guzmán (@Steph_GuzmanM) 29 mars 2017
"A touché mais pas pénétré
A pénétré mais pas avec son pénis
A touché et pénétré mais n'a pas ressenti de plaisir
Ce n'est pas une agression sexuelle"
Le juge ne s'arrête pas là : ailleurs dans sa décision, il explique aussi que Daphne n'a, à aucun moment, été "obligée de quoique ce soit". Même forcée d'entrer dans une voiture par quatre garçons plus âgés qu'elle.
Los Porkys, symbole d'une justice mexicaine à deux vitesses
Un autre élément dérange beaucoup : les quatre jeunes hommes impliqués dans l'affaire de viol sont issus de familles aisées et influentes dans l'État de Veracruz. L'impunité dont ils semblent bénéficier alimente la colère de la population mexicaine : les riches et les privilégiés du Mexique semblent au-dessus des lois.
L'impunité dont ils semblent bénéficier alimente la colère de la population mexicaine
Diego Cruz et ses trois amis sont rapidement surnommés "Los Porkys de Costa de Oro" par les médias et les internautes, en référence aux "Los Porkys", cette bande de jeunes hommes de familles aisées connus en 2001 pour avoir commis plusieurs délits dans des boîtes de nuit, et notamment passé à tabac un jeune homme, mort de ses blessures.
"Tout cela est inconcevable", s'est ému le père de Daphne, Javier Fernández, dans les colonnes du journal El Pais. "Ils n'ont même pas été arrêtés, et maintenant [Diego Cruz] est acquitté et bénéficie d'une protection légale."
Sur les réseaux sociaux, les internautes mexicains expriment leur colère. Les hashtags #JusticiaParaDaphne (Justice pour Daphne) et #JuezPorky (Juge Porky, qui désigne le juge Anuar González) émergent. Le jour du jugement, des militants des droits de l'homme se sont rendus à la sortie du tribunal.
«¡Diego Cruz violador!» gritan en Insurgentes. #JusticiaParaDaphne pic.twitter.com/C1bAyLJRS6
— Lizbeth H. (@abismada_) 28 mars 2017
L'État de Veracruz concentre particulièrement toutes les critiques de la population mexicaine envers les défaillances du gouvernement. L'ancien gouverneur Javier Duarte, a disparu après que des personnes l'ont accusé d'avoir volé de l'argent public. Des milliers de femmes ont disparu dans l'État, et récemment 250 crânes humains ont été retrouvés, vraisemblablement une fosse commune de cartel de drogue, comme le rappelle The Guardian.
Et dans un pays où la justice est à deux vitesses et où diverses mafias peuvent agir sans être inquiétées, les premières victimes sont, comme toujours, les femmes.
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