Le mouvement de protestation sociale qui agite la Guyane gagne une grande partie de la population. Accusé d'incurie, le gouvernement peine à répondre aux revendications des manifestants. Au risque de paralyser davantage le territoire.
Leur dernier coup de force n’est pas passé inaperçu. Le 16 mars, alors que la Collectivité territoriale de Guyane (CTG) accueille une conférence internationale sur la protection des fonds marins, des dizaines de personnes encagoulées et tout de noir vêtues parviennent à pénétrer dans la salle afin d’interpeller Ségolène Royal, qui participe aux débats, sur le niveau d’insécurité qui frappe le territoire d’outre-mer.
L’intrusion, impressionnante mais pacifique, provoque quelques sueurs froides parmi les délégations étrangères. Apeurés, certains participants quittent les lieux. La ministre de l’Environnement qui, le surlendemain, devait inaugurer le pont reliant la Guyane au Brésil écourtera finalement sa visite dans la région.
Derrière cette retentissante action se trouvent les 500 Frères, un collectif de citoyens guyanais dénonçant la montée de la criminalité sur leur territoire. Si le mouvement a décidé de frapper fort le 16 mars, c’est pour que l’État français, mais aussi leurs compatriotes de la métropole, entendent leur message. "Il fallait démontrer notre volonté de rencontrer la ministre. Le fait d’avoir osé nous rendre au CTG a envoyé un signal fort de notre détermination, affirme à France 24 Olivier Goudet, président de Tròp Violans, une association affiliée aux 500 Frères. C’était un appel à l’aide, nullement une agression ou une menace. Il fallait exposer notre détresse."
Le plus grand nombre d’homicides en France
De fait, le mouvement réclame des services de l’État davantage de moyens pour lutter contre la délinquance. Avec 42 homicides recensés en 2016, la Guyane est le territoire de France où l'on compte le plus de meurtres. "Il y en a pratiquement un toutes les semaines. Sans compter les agressions et les braquages que nous subissons chaque jour. C’est pire que Marseille !", s’insurge Olivier Goudet.
Fin février, alors que leurs premières marches contre l’insécurité commençaient à trouver un écho favorable parmi la population, les 500 Frères et Tròp Violans ont adressé aux parlementaires guyanais la liste de leurs revendications. Parmi elles figurent l’élargissement de l’état d’urgence à la Guyane, le renvoi des délinquants étrangers dans leur pays d’origine ainsi qu’une surveillance permanente de la frontière avec le Suriname, à l’ouest, et de celle avec le Brésil, à l’est.
"Nous ne voulons stigmatiser personne mais on ne peut nier qu’en Guyane, il existe un désordre total en termes d’immigration", se défend Olivier Goudet, dont le mouvement s’est vu reprocher de verser dans la xénophobie. "Au sein de nos mouvements, on trouve des personnes de toutes les origines, surinamaises, brésiliennes, haïtiennes, et aussi des métropolitains", tient-il d’ailleurs à souligner.
"La cagoule est notre emblème"
Sous leurs dehors intimidants de militants encagoulés défilant au cri de "Nou Bon Ké Sa" ("On en a marre"), les 500 Frères disent agir en "sentinelles". Leurs modes d’action, plusieurs fois décriés, se veulent avant tout symboliques. "La cagoule est notre emblème car elle est le reflet de ce que vivent les victimes de la criminalité. Des hommes cagoulés, c’est ce que voient ceux qui se font tuer, braquer, agresser... Quand le préfet ou l’État nous voient avec des cagoules, ils ressentent cette peur."
L’insécurité ne constitue toutefois pas l’unique motif d’exaspération des Guyanais. Aux voix des 500 Frères se sont jointes celles d’entrepreneurs du secteur minier, de salariés, de collectifs dénonçant l’état de délabrement des hôpitaux ou du système éducatif. "Aujourd’hui, nous sommes arrivés à l’aboutissement d’un mouvement de revendication qui touche toutes les composantes du corps social. La Guyane vivait jusqu’alors une crise silencieuse. Maintenant, elle s’exprime", déclare à France 24 Gauthier Horth, élu d’opposition à la CTG et membre du collectif "Pou Lagwiyann Dékolé" ("Pour une Guyane qui décolle"). "Ici, l’économie ne fonctionne plus. Tous les ans, 6 500 jeunes arrivent sur le marché du travail alors qu’il ne se crée que 2 000 emplois. Nous n’avons accès ni au travail, ni à la santé, ni à l’instruction. Nous ne sommes pas égaux aux autres citoyens français", insiste l’élu qui affirme n’avoir jamais connu un tel niveau de mobilisation en Guyane.
Jeudi, la multiplication des mouvements de protestation a effectivement amené à la paralysie d’une grande partie du territoire. Alors que des barrages ont été dressés sur les principaux axes du littoral guyanais, bloquant notamment l’accès à Cayenne, des salariés d’EDF ont entamé une grève, le rectorat a ordonné la fermeture des établissements scolaires jusqu'à nouvel ordre et plusieurs commerces ont baissé le rideau.
"Le seul intérêt de Paris pour notre territoire, c’est le centre spatial"
Point d’orgue de la protestation : la mobilisation de plusieurs chauffeurs qui ont empêché le transfert du lanceur européen Ariane 5 vers son pas de tir. Résultat, le lancement de la fusée a été reporté sine die. "Une première", se félicite Gauthier Horth. "Réussir à ajourner le lancement d’Ariane est une manière de répondre au mépris de l’État français, résume l’élu. Jamais aucun gouvernement n’a voulu prendre la mesure des enjeux de la société guyanaise. Le seul intérêt de Paris pour notre territoire, c’est le centre spatial. Tant que la fusée décolle, tout va bien."
Face à la menace pesant sur les activités spatiales de Kourou, le Premier ministre, Bernard Cazeneuve, a annoncé, vendredi, l'envoi en Guyane d'une "mission interministérielle" composée de "gens de qualité" qui tâcheront, dixit Matignon, "d'analyser toutes les difficultés soulevées et de poser les bases d’une négociation susceptible de déboucher sur des mesures opérationnelles et rapides".
Les représentants des différents mouvements ont immédiatement fait savoir qu’ils ne recevraient pas la délégation gouvernementale. Pis, les 37 syndicats réunis au sein de l'Union des travailleurs guyanais (UTG) ont voté à l'unanimité la grève générale, à compter de lundi.
"Nous exigeons la venue de ministres", revendique Olivier Goudet. Nous n’acceptons plus ce mépris. On a l’impression que l’État met tout en place aujourd’hui pour que la Guyane s’embrase." Gauthier Horth abonde : "Il y a un refus manifeste d’apporter des réponses. Mais le message est clair : la fusée Ariane ne décollera pas tant que la population l’aura décidé. C’est à la Guyane de décoller maintenant."