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Martin Schulz, champion iconoclaste de la gauche allemande

Comment Martin Schulz, un Allemand catalogué à la droite du SPD et qui a voué sa carrière à l'Europe, a pu devenir l'homme providentiel de la gauche face à Angela Merkel.

Il aurait aimé être joueur de football professionnel, le voilà propulsé meilleur espoir de la gauche allemande pour empêcher la chancelière Angela Merkel de se succéder à elle-même lors des élections du 24 septembre. Martin Schulz a été désigné, avec le score record de 100 % des voix, à la tête du SPD, le parti des sociaux-démocrates, dimanche 19 mars.

Ce vote de confiance n'était qu'une formalité. En effet, le seul adversaire au sein de son parti capable de lui faire de l'ombre, l’ex-patron du SPD Sigmar Gabriel, avait jeté l’éponge, conscient de son impopularité.

Le “chancelier divin”

Martin Schulz, lui, est populaire. Le SPD avait enregistré 1 800 nouveaux inscrits une semaine après sa déclaration de candidature le 25 janvier 2017. Il bénéficie de la même cote de popularité que Angela Merkel (57 % d’opinions favorables), d’après les derniers sondages. Sur Internet, il a même un sous-forum sur le populaire site communautaire Reddit entièrement dédié à sa gloire. Il y est appelé “GottKanzler” (Le chancelier divin) et les internautes en ont fait le champion du MEGA (“Make Europe Great Again”) en référence au MAGA (“Make America Great Again”) du président américain Donald Trump.

L’enthousiasme des Allemands pour cet homme de 61 ans, qui a fait l’intégralité de sa carrière politique au niveau européen, peut surprendre. “Alors que l’Europe vit sa pire crise politique, le SPD se choisit un candidat qui défend bec et ongle le projet européen”, s’étonne le quotidien de centre-droit Frankfurter Allgemeine Zeitung.

Mais cette particularité – n’avoir jamais trempé dans la politique politicienne de Berlin – jouerait en sa faveur. “Il a beau appartenir au SPD [qui est partenaire de la CDU d’Angela Merkel dans la grande coalition au pouvoir en Allemagne], il n’est pas du tout affecté par l’usure du pouvoir dont souffre les autres personnalités du SPD”, résume le magazine Focus.

Merci à Silvio Berlusconi

Martin Schulz a aussi fait de son engagement européen sans faille le socle de sa popularité. Il est entré au Parlement européen à 38 ans, a été porte-parole des socialistes européens pendant huit ans (entre 2004 et 2012), puis président du Parlement jusqu’en début 2017. Cet attachement au Parlement – émanation du vote populaire – lui permet de ne pas paraître comme un bureaucrate au service de la Commission européenne. Les tentatives de le dépeindre en créature de Bruxelles, surtout selon des populistes de l’Alternative für Deutschland (AfD), ont jusqu’à présent fait long feu.

L’adversaire d’Angela Merkel peut également remercier Silvio Berlusconi. L’ex-président du Conseil italien avait sorti Martin Schulz d’un relatif anonymat, en 2003, lorsqu’il l’avait comparé à un kapo dans un camp de concentration. Ce dérapage avec soulevé une vague d’indignation médiatique en Europe et un élan de solidarité et de curiosité pour Martin Schulz.

Le champion de la SPD apparaît aussi, dans l’opinion, comme un oiseau rare en politique : à la fois honnête et franc. Une bonne image qu’il doit à sa propension à évoquer sans tabou les heures les plus sombres de sa vie. Martin Schulz a, en effet, été alcoolique, et ne s’en cache pas. Mauvais élève, il quitte l’école sans baccalauréat dans l’espoir de devenir joueur de football professionnel. Mais une blessure au ménisque le prive de cette perspective et le plonge dans l’alcool et la dépression. Il a raconté, à plusieurs reprises, à quel point il a pu être un “ connard” à cette époque et qu’il a pensé plusieurs fois au suicide. Aidé par son frère, il n’a pas plus bu une goutte d’alcool depuis 1980 et a ouvert une librairie à Würselen, la ville de Rhénanie-du-Nord-Westphalie dont il est devenu maire par la suite.

À gauche ou à droite ?

Il aurait pu refermer cette lointaine page de sa vie. À 61 ans, marié depuis 30 ans et père de deux enfants, Martin Schulz n’a plus grand-chose à voir avec “le connard” de l’époque. Mais il a décidé d’en faire une arme politique. Connu en Allemagne pour agrémenter la plupart de ces interventions publiques d’histoires, il a eu le flair de comprendre que la sienne – la chute, la rédemption et le succès – avait le potentiel de lui attirer des sympathies.

Mais si le personnage séduit, le programme, lui, intrigue. Martin Schulz semble avoir mis le cap très à gauche pour ce début de campagne. Au nom de la lutte contre la précarité, il appelle à revoir les fameuses lois Hartz IV de 2010 qui ont réformé le Code du travail pour y introduire une forte dose de flexibilité. Il veut aussi réduire les inégalités de revenus. Deux axes qui lui ont valu d’être taxé de candidat d’extrême gauche.

De quoi surprendre ceux qui ont suivi l’ascension politique de Martin Schulz. Il appartient depuis les années 1990 à un cercle de réflexion politique qui se situe à la droite du SPD et a toujours soutenu les lois Hartz IV. Au Parlement européen, ses collègues socialistes l’ont souvent vu défendre les positions du PPE (Partie populaire européen – le groupe européen des députés de droite), raconte le quotidien berlinois Tageszeitung. Il est aussi un partisan des accords de libre-échange avec le Canada et les États-Unis, qui font partie des cibles favorites des militants de gauche en Europe.

Ce décalage entre le Martin Schulz de la campagne – qui drague à gauche – et celui qui, au Parlement européen, défend des positions beaucoup plus à droite a commencé à écorné l’image d’honnêteté du candidat. Il a été accusé de “populisme” et de “démagogie”. Le très populaire tabloïd Bild l'a même surnommé le "gentil populiste". Mais, comme le souligne la Frankfurter Allgemeine Zeitung, Martin Schulz doit se démarquer d’Angela Merkel, qui se situe à la gauche du parti conservateur allemand. Sans cela, Martin Schulz risque d’apparaître comme une Angela Merkel à barbe.