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Brexit : au Royaume-Uni, remplacer l’UE par le Commonwealth ? Pas si simple

Pour contrebalancer les effets d'une sortie du marché unique européen, les partisans du Brexit comptent sur le potentiel économique du Commonwealth.

"A Global Britain" [Une Grande-Bretagne mondiale]… Le mot est sur toutes les lèvres, à commencer par celles de la Première Ministre britannique Theresa May et de son secrétaire d'État aux Affaires étrangères Boris Johnson. Soucieux de contrebalancer la perte de l'accès au marché unique européen dans le cadre de la sortie de l'Union européenne (UE), les dirigeants britanniques vantent les mérites de nouveaux marchés qui ne demanderaient qu'à être envahis : ceux du Commonwealth, l'organisation intergouvernementale rassemblant 52 États pour la plupart anciens territoires de l'Empire britannique.

Dans le discours de Lancaster House du 17 janvier où elle a détaillé sa feuille de route pour le Brexit, Theresa May a fait du pouvoir de signer ses propres accords commerciaux et douaniers avec le reste du monde une ligne rouge de la sortie de l'UE. C'est la logique du "Hard Brexit" : pas question de brader ce droit en échange de la conservation de l'accès au marché commun. Pour illustrer son propos, elle évoque déjà des discussions pour des relations rapprochées avec la Nouvelle-Zélande et l'Inde.

Pour Matthew Graves, enseignant-chercheur à l'université d'Aix-Marseille au sein de Laboratoire d’Etudes et de Recherche sur le Monde Anglophone(LERMA), et spécialiste du Commonwealth, il est clair que le gouvernement britannique lorgne du côté des territoires de l'ancien empire britannique : "Boris Johnson, le 2 décembre, a même affirmé dans un discours que ces pays faisaient déjà la queue pour signer des accords bilatéraux."

Un intérêt évident

Pour les entreprises, "échanger avec le Commonwealth est une évidence", déclare Lord Marland, président Commonwealth Enterprise and Investment Council (CWEIC), dans The Guardian. "Mais le Royaume-Uni s'est éloigné du Commonwealth ces dernières années parce que le gouvernement n'appuyait pas suffisamment les initiatives. Il faudra beaucoup de travail pour reconstruire cette relation et en recueillir les bénéfices."

À l'initiative du CWEIC, tous les ministres de l'Économie des pays du Commonwealth seront à Londres en les 9 et 10 mars pour parler de coopération future. Or, c’est précisément le moment choisi par Theresa May pour déclencher l'article 50 et entamer les discussions sur les modalités de la sortie de l'UE. "Une coïncidence", pour Lord Marland.

Le gouvernement britannique aimerait conclure des accords bilatéraux avec la plupart de ces pays. Cette ambition a du sens économiquement, car la plupart des membres du Commonwealth sont des pays développés, comme l'Australie, la Nouvelle-Zélande, ou des économies émergentes, comme l'Inde ou l'Afrique du Sud. Ces nations, dont le taux de croissance moyen avoisine les 5 % ou 6 % ces dernières années, constitueraient un débouché prometteur pour la Grande-Bretagne ainsi qu'une réservoir de clients inespéré de 2 milliards d'habitants contre 500 millions pour l'UE.

Un argument historique des eurosceptiques

Pour le spécialiste du Commonwealth, Matthew Graves, il n'est pas étonnant de voir l'argument du Commonwealth revenir dans le débat public, à mesure que s'approche la sortie de l'UE. "L'idée n'est pas neuve. La première occurrence de proposition est à chercher du côté d'un colloque à Chatham House, sur la Grande Bretagne et le monde en 1995. Une chercheuse australienne, Katherine West, y présentait déjà un plaidoyer pour une nouvelle relation entre le Royaume-Uni et le Commonwealth."

"L'idée fait son chemin et remonte à la surface en 2005. Le think-thank 'Global Britain' écrit alors une note intitulée : 'Commonwealth, le colosse négligé'. L'idée directrice c'est que les économies émergentes du Commonwealth présentent un taux de croissance supérieur à l'ensemble de l’UE. L'argumentaire est relayée par les intellectuels du camp du 'leave' durant les débats sur le Brexit", explique le chercheur de Toulon.

Le député européen conservateur Daniel Hannan, est considéré comme l’éminence grise derrière cette idée, qu’il développe régulièrement dans la presse. "Il veut un monde de libre-échange, gravitant vers son foyer naturel, les pays du Commonwealth", détaille Matthew Graves.

Des pays du Commonwealth pas si enthousiastes

Mais les pays du Commonwealth se bousculent-ils vraiment pour signer des accords de libre-échange avec le Royaume-Uni ? "Le jour même du discours de Theresa May, l'ambassadrice du Royaume-Uni en Malaisie proposait au pays de signer un accord de libre-échange fondé sur un partenariat numérique. Pour eux, la base des accords, c'est le libre-échange", rappelle Matthew Graves.

Pourtant, le chercheur nuance grandement les propos des dirigeants britanniques. Malgré des appels du pied depuis quelques années, l'Inde rechigne à signer. L'Australie et la Nouvelle-Zélande sont favorables à un accord, mais exigent un assouplissement de la politique des visas. Chasser la libre-circulation, elle revient au galop.

"Il y a un tour de passe-passe de la part des dirigeants britanniques. On sous-entend que la substitution est possible entre l'UE et le Commonwealth, mais ce dernier n'est pas un marché unique, donc il faut procéder à des accords bilatéraux", note le chercheur. "Il n'est pas possible de négocier un rapprochement économique global avec 52 États disparates, dont beaucoup sont, il faut le rappeler, des micro-États."

"Enfin, il faut voir qu'en dépit du lien historique, il n'est pas forcément du meilleur intérêt pour ces pays de signer avec le Royaume-Uni, d'autant qu'avec le "hard Brexit", ils perdent l'espoir de posséder une tête de pont vers le marché unique européen", argumente le spécialiste. "Enfin, des pays comme la Nouvelle-Zélande et l'Australie ont des intérêts propres. Et, ironiquement, ils auraient plutôt intérêt à négocier avec la France, très présente dans le Pacifique sud, et avec qui ils possèdent des intérêts communs, ainsi que des contrats militaires."

Lord Marland, le président du CWEIC, adresse une mise en garde similaire dans The Guardian : "Tout le monde est obsédé par les accords de libre-échange. Pourtant, notre partenaire principal reste les États-Unis avec lequel nous n'avons pas ce type d'accords." Pas question de voir le libre-échangisme comme une panacée pour le grand partisan du Commonwealth, la priorité est la facilitation des exportations des entreprises britanniques.

Le Commonwealth, ver dans la pomme du referendum ?

Pour Matthew Graves, il ne faut pas oublier que, dès le départ, les dés du référendum ont pu être légèrement pipés en faveur du Commonwealth : "Concrètement, pour le scrutin, un routard de passage, mais citoyen du Commonwealth a pu voter. Dans le même temps, les ressortissants britanniques à l'étranger n'ont pas eu cette possibilité. On estime de un million à deux millions, le nombre de personnes "empêchées" de voter ainsi", explique le chercheur.

Pour Matthew Graves, on a eu ici "un signal fort. On n'a pas voulu consulter un électorat cosmopolite qui était vraisemblablement pro 'Remain' [rester dans l'UE]. Sur le principe démocratique, ça n'avait aucun sens."