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Le géant mondial du ciment LafargeHolcim a reconnu, jeudi dans un communiqué, avoir "indirectement" financé en 2013 et 2014 des groupes armés dans le nord de la Syrie, dans le but de continuer à faire fonctionner sa cimenterie.
Le premier cimentier mondial LafargeHolcim a admis jeudi 2 mars, à la suite d’une enquête interne, que sa cimenterie en Syrie avait conclu des arrangements financiers "inacceptables" avec des groupes armés actifs dans le nord du pays.
"Il apparaît après enquête que notre usine locale a fourni des fonds à des tierces parties dans le cadre d'arrangements avec un certain nombre de ces groupes armés, dont des organisations interdites, afin de pouvoir continuer à fonctionner et d'assurer la sécurité du passage des employés (…)", déclare le groupe suisse dans un communiqué.
Ces arrangements, qui ont eu lieu en 2013, se sont prolongés jusqu'à ce que l'usine soit évacuée en septembre 2014, a précisé le géant du ciment. Selon Le Monde, qui avait révélé l'affaire en juin 2016, ces arrangements ont notamment profité à l'organisation État islamique (EI).
"C’est assez rare qu’une grande entreprise admette les faits", a réagi sur France 24 la journaliste Dorothée Myriam Kellou, à l’origine des révélations. Pour la collaboratrice de France 24 et du Monde, "la plainte de l’ONG Sherpa puis la plainte de Bercy contre Lafarge à l’automne dernier ainsi que la pression médiatique ont conduit LafargeHolcim à admettre les faits et à opter pour une communication de transparence".
"Conditions inacceptables"
En novembre dernier, l'ONG française Sherpa avait en effet déposé une plainte avec constitution de partie civile sur les conditions d'activité de sa cimenterie de Jalabiya, en Syrie. Elle soupçonnait le cimentier d'avoir pu contribuer au financement du terrorisme en entretenant des relations commerciales avec le groupe État islamique. Par ailleurs, en octobre dernier, Bercy avait dénoncé une potentielle infraction au code des douanes du groupe en Syrie.
Sur la foi d'échanges d'e-mails consultés par les journalistes du Monde, la direction de Lafarge, aujourd'hui partie intégrante de l'ensemble LafargeHolcim, issu de la fusion avec le suisse Holcim, était visiblement au courant de la situation.
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Ces pratiques ont été confirmées par Jacob Waerness, gestionnaire de risques à Lafarge Syrie entre 2011 et 2013, dans un entretien exclusif accordé à France 24. Mi-novembre, Le Monde et France 24 révélaient également le climat et les conditions de sécurité dans l'usine dans les années qui ont précédé.
"Il suffit de prendre la carte de la Syrie"
"Avec du recul, les conditions exigées pour assurer la continuation du fonctionnement de l'usine étaient inacceptables", déclare le groupe dans son communiqué tout en affirmant que l'enquête interne n’a pas pu établir avec certitude les destinataires finaux des fonds.
Une affirmation qui laisse sceptique Dorothée Myriam Kellou : "Il suffit de prendre la carte de la Syrie autour de l’usine pour voir qu’en 2013 et 2014, il y a le groupe État islamique." Et la journaliste de poursuivre : "En juin 2013, l’EI prend Raqqa et en mars 2014 Manbij. Or c’est dans cette ville que sont hébergés la majorité des employés de Lafarge donc comment ces employés qui allaient quotidiennement à l’usine pouvaient emprunter les routes sans accord avec l’EI ?"
Avec AFP et Reuters