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Attentat de Nice : "Il y a des gens qui m’associent aux meurtriers de ma mère, c’est une double peine"

Fatima Charrihi a été la première victime du camion-bélier du 14-Juillet, à Nice. Comme elle, 85 personnes sont mortes dans cet attentat revendiqué par l'EI. Rencontre avec Hanane, sa fille, qui lui rend hommage dans le livre "Ma mère patrie".

Elle s’appelait Fatima. Le soir du 14 juillet 2016, elle était sur la promenade des Anglais, à Nice, pour assister au traditionnel feu d’artifice. Un jour de fête qui a tourné au cauchemar pour 86 personnes fauchées par un camion-bélier fonçant aveuglément sur la foule. Fatima Charrihi est la première victime à périr sous les roues du 38 tonnes.

"C’était une femme comme les autres. Une maman aimante, douce, gentille, ferme à la fois. Elle pratiquait un islam juste, pas celui que certaines personnes se sont approprié et qui n’en est pas un", raconte Hanane, sa fille qui publie "Ma mère patrie" aux éditions La Martinière. Un hommage émouvant à une mère mais aussi à toutes les autres victimes de l’attentat de Nice.

Ce soir-là, la jeune femme de 27 ans, préparatrice en pharmacie, est à Aulnay-sous-Bois avec ses deux enfants. Elle attend son mari, M’hamed, pour assister aux feux d’artifice dans un parc près de chez eux. Soudain son téléphone s’emballe. Sur les réseaux sociaux, on parle d’un "attentat sur la promenade des Anglais", d’un camion qui aurait "fait plusieurs morts". Hanane s’inquiète immédiatement pour sa sœur Latifa. Elle ignore que sa mère est sortie manger une glace avec l’un de ses petits-fils. C’est son frère Ali qui lui apprend la nouvelle par téléphone. "Non, Hanane, c’est pas Latifa. C’est maman." Hanane ne comprend pas. Elle le rappelle. "Mais fais quelque chose bon sang ! (…) Réveille-la !", lui intime-t-elle. "Hanane, c’est fini. Elle est sous le drap. Il n’y a plus rien à faire", lui répond-t-il.

De longues heures commencent alors pour la jeune femme. Il n’y a plus de place dans les avions pour Nice avant le lendemain. Son mari lui interdit d’allumer la télévision. Elle évite Internet. Elle ignore alors la violence de cet attentat. Ce n’est que lorsque le vol Paris-Nice entame sa descente qu’elle comprend, en apercevant la promenade des Anglais. "Des dizaines et des dizaines de petites taches blanches apparaissent soudain tout au long de l’avenue. Ce sont les draps qui recouvrent les corps. Je comprends que ma mère est là. Partie. Sans prévenir", écrit-elle dans son livre.

La double peine de l’amalgame

Tout au long des 115 pages, Hanane raconte les jours qui ont suivi. La douleur de ses proches, son père Ahmed "prostré" qui n’est plus que "l’ombre de lui-même", les insultes lors d’un recueillement sur les lieux de l’horreur : "C’est bien fait bande de terroristes !" ; "Vous êtes une honte pour la France. Retournez chez-vous !" Amalgame. Parce qu’elle est musulmane, voilée, tout comme le sont certaines de ses sœurs, Hanane est forcément une terroriste. "Ma mère est une victime, je suis victime, toute ma famille est victime. Il y a des gens en France, dans notre pays, qui m’associent aux meurtriers de ma mère. C’est une double peine", déplore-t-elle en précisant qu’un tiers des victimes de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel étaient musulmanes.

La faute à qui ? À l’organisation État islamique qui n’est qu’un "état terroriste qui n’a rien à voir avec l’islam, affirme-t-elle. Ils font tout ce que l’islam interdit. Ce ne sont pas des musulmans." Mais aussi de "l’acharnement médiatico-politique. Les politiciens véhiculent de fausses informations. J’ai vu Nathalie Kosciusko-Morizet parler de "koufarisme" [du mot koufar qui désigne de manière péjorative les personnes qui ne croient pas en l'islam, NDLR ]. Ça m’a fait rire mais c’est quelque chose de très grave. C’est une personnalité politique, c'est-à-dire qu’elle porte la parole au peuple et elle dit des bêtises. Elle invente un mot qui n’existe pas du point de vue étymologique. Ça n’est pas une branche de l’islam. C’est ridicule !", lance Hanane dans un grand éclat de rire.

"Ils ne savent rien de l’islam"

Ignorance. C’est ce que dénonce férocement la jeune femme "qui ne reconnaît pas sa religion quand elle regarde la télévision". "J’ai le même message pour les jeunes qui partent faire le "jihad" que pour les personnes qui ne connaissent pas l’islam : apprenez ! Qu’est-ce qui mène au jihad ? C’est l’ignorance. Qu’est-ce qui mène à l’amalgame ? C’est l’ignorance. Le savoir est la clé, or ils ne savent rien de l’islam", argumente-t-elle.

Hanane raconte comment elle a noté tous les versets cités par l'EI pour en parler avec l’imam de la nouvelle mosquée de Nice, Mahmoud Benzemia. "Ils doivent être remis dans un contexte précis ! Mais quoi qu’il en soit, le verset le plus important est 'Celui qui tue un humain, tue toute l’humanité'. Ça s’arrête là", martèle la jeune femme en ajoutant que "le jihad, c’est d’abord contre soi-même".

Hanane garde cependant espoir. La sortie de ce livre-thérapie, première étape de son travail de deuil, a suscité de nombreux messages de sympathie. Des lettres de France mais aussi de l’étranger, de personnes âgées de 15 à plus de 80 ans, lui parviennent chaque semaine. "Je suis contente parce que j’ai touché tout le monde. Une dame de 80 ans s’est même excusée. Elle m’a écrit : 'Ne vous inquiétez pas. Nous sommes français, nous serons unis.' Ça a ravivé une lueur."