Depuis la diffusion par l’EI d’une vidéo dans laquelle le groupe terroriste fait des coptes d’Égypte une cible privilégiée, plusieurs actes violents ont visé cette communauté, qui commence à fuir massivement le Sinaï.
Terrorisés. Depuis la diffusion par l’organisation État islamique (EI), le 19 février, d’une vidéo promettant de s’en prendre spécifiquement aux chrétiens d’Égypte, la panique est de mise au sein des coptes, visés par plusieurs actes violents. Depuis quelques jours, plusieurs centaines de familles issues de cette communauté ont fui le Nord-Sinaï, où sévit le groupe terroriste.
Selon un responsable de l'Église copte cité par l’AFP, plusieurs familles chrétiennes sont arrivées le 25 février dans la ville d'Ismaïlya près du canal de Suez (est), où 250 de leurs coreligionnaires avaient déjà trouvé refuge la veille. Plus de 200 étudiants inscrits à l'université d'Al Arich, chef-lieu du Nord-Sinaï, sont également partis selon Reuters.
Dans sa vidéo, l’EI appelle ses partisans à attaquer à vue les coptes, qui représentent environ 10 % de la population égyptienne. L'enregistrement en question contenait également une nouvelle revendication de l'attentat-suicide, perpétré mi-décembre dans une importante église copte du Caire, l'église Saint-Pierre et Saint-Paul, et dans laquelle 29 personnes - principalement des femmes et des enfants – avaient été tuées.
Depuis la diffusion de ce message, plusieurs assassinats ciblés ont visé des coptes dans le Sinaï, déjà le théâtre d’affrontements armés entre militaires égyptiens et islamistes depuis 2011.
Les cadavres de deux hommes, celui d'un père et de son fils, ont ainsi été découverts le 22 février à Al-Arich. Le corps du père était criblé de balles, tandis que l’état de celui du fils indiquait qu’il avait été brûlé vif. Le lendemain, des islamistes armés ont incendié la maison d'un plombier copte qui a été abattu devant son épouse et ses enfants. Au total, pas moins de sept coptes ont été tués, dont l’un par décapitation, depuis le 30 janvier dans le Sinaï.
L’EI cherche à s’étendre sur l’ensemble du territoire égyptien
Dans sa vidéo, l’EI ne menace pas uniquement les coptes, mais promet également de porter sa "lutte" jusque dans les rues du Caire. En labélisant "État islamique en Égypte" l’enregistrement, par opposition à "Province du Sinaï", que le groupe utilisait habituellement dans ses précédents messages, l’EI réaffirme sa volonté d’étendre ses opérations sur l’ensemble du territoire égyptien.
"L’EI cherche inlassablement à s’implanter dans le cœur du territoire égyptien", décrypte Mokhtar Awad, chercheur dans le cadre du programme sur l'extrémisme à l'Université George Washington.
Selon un décompte de l’agence Reuters, le groupe jihadiste a revendiqué pas moins de sept attaques terroristes perpétrées au Caire en 2016, contre quatre en 2015. "L’EI n’est pas un problème qui concerne uniquement le Sinaï", confirme H.A Hellyer, un chercheur non-résident à l’Atlantic Council, un think tank américain. En plus de la revendication de l'attentat contre la cathédrale du Caire, le groupe a posté en ligne les photos, les noms et adresses de centaines de soldats et de policiers égyptiens, tout en exhortant ses partisans à les traquer et à les tuer. Or certains de ceux figurant sur la liste ne vivent pas dans le Sinaï.
Pour les coptes, cela signifie qu’ils peuvent être ciblés partout, et pas seulement dans le Sinaï. Le pape copte avait passablement irrité les islamistes du pays lorsqu’il était apparu aux côtés du général Abdel Fattah al-Sissi, lors de l'annonce de la destitution du premier président égyptien démocratiquement élu, Mohamed Morsi, lui-même issu des rangs des Frères musulmans.
Les jours suivants, des dizaines d'églises avaient été vandalisées et incendiées dans tout le pays. D’aucuns l’avaient accusé d’avoir fait des chrétiens des cibles légitimes pour quiconque avait les moyens de les attaquer.
Déstabiliser l'Égypte
C’est dans ce contexte déjà tendu que l’EI cherche à alimenter le sentiment d’insécurité en Égypte pour y provoquer le chaos, tout en essayant de déstabiliser le pays en attisant les tensions entre les différentes composantes de la société, notamment entre les chrétiens et les islamistes.
"L’attentat contre la cathédrale copte était un acte savamment calculé, qui lui a permis de franchir un nouveau cap dans l’incitation à la violence sectaire en Égypte", estime Mokhtar Awad. "Ils cherchent à faire monter les enchères en termes de violence et de créer autant d'anarchie qu'ils le peuvent." Cette stratégie semble payante, pas encore sur l’ensemble du territoire, mais dans le Sinaï.
"Sur le terrain, la donne a changé", affirme Mina Thabet, chercheur à la Commission égyptienne pour les droits et libertés, qui se trouve actuellement à Ismaïlya pour porter assistance aux familles chrétiennes ayant fui le Sinaï. Certains d’entre eux ont reçu des menaces de mort sur leur téléphone. D'autres disent que des listes de personnes à abattre, sur lesquelles figurent de nombreux chrétiens, sont diffusées parmi les islamistes. "L’EI applique désormais une stratégie de ciblage des individus", précise-t-il.
Les autorités égyptiennes s’attendent à de nouvelles vagues de départs. Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a ordonné, lors d'une réunion samedi 25 février, d'apporter toute l'aide nécessaire pour héberger ces familles, selon un communiqué. Deux jours plus tôt, il avait demandé à l'armée et à la police "d'éradiquer complètement le terrorisme dans le nord du Sinaï".