Plus de 200 000 Roumains ont manifesté, mercredi, pour dénoncer un décret du gouvernement dépénalisant certains délits de corruption. Jeudi, le président roumain a saisi la Cour constitutionnelle pour contester le décret.
La Roumanie n'avait connu de telles manifestations depuis la chute du communisme. Aux cris notamment de "voleurs", "honte à vous", "démission", quelque 200 000 personnes ont manifesté dans les rues de Bucarest, mais aussi à Cluj, Sibiu ou Timisoara, pendant près de cinq heures, dans un froid glacial, devant le siège du gouvernement, contre un assouplissement de la législation anticorruption.
Faute de chiffres officiels, plusieurs médias nationaux ont estimé qu'il s'agissait des plus importantes manifestations depuis la révolution roumaine de décembre 1989 et l'année de turbulences politiques qui avait suivi. Après des rassemblements au cours du week-end, le nombre de protestataires aurait été les 300 000.
Dans la capitale, le rassemblement s'est achevé par des incidents. Les forces de l'ordre ont essuyé des jets de pétard, de pierre, de bouteille de la part de groupes isolés et ont répliqué par des tirs de gaz lacrymogène. Deux gendarmes et deux manifestants, légèrement blessés, ont été transportés à l'hôpital.
Le président a saisi la Cour constitutionnelle, le Premier ministre ne lâche rien
À la suite de ces manifestations, le président roumain Klaus Iohannis a saisi jeudi la Cour constitutionnelle pour contester le décret du gouvernement. "Il s'agit évidemment d'un conflit constitutionnel et juridique entre le gouvernement, l'appareil judiciaire et le parlement", a-t-il déclaré dans une allocution télévisée, avant de prier le gouvernement du social-démocrate formé au début du mois de renoncer à ce décret.
Quelques heures plus tard, le Premier ministre s'est cependant montré résolu à maintenir le décret controversé. Interrogé à l'issue d'une réunion de son parti (PSD) sur l'hypothèse d'un retrait de cette révision pénale, Sorin Grindeanu a répondu "non". "Nous avons pris une décision au sein du gouvernement et nous allons de l'avant", a-t-il ajouté.
Adopté mardi soir, le décret d'urgence du nouveau gouvernement social-démocrate du Premier ministre, Sorin Grindeanu, pourrait mettre les hommes politiques à l'abri de certaines poursuites. Le Conseil supérieur de la magistrature de Roumanie avait alors également rapidement déposé un recours auprès de la Cour constitutionnelle.
Le texte dépénalise plusieurs infractions et rend l'abus de pouvoir, un chef d'inculpation fréquent, passible de peines de prison uniquement s'il provoque un préjudice supérieur à 44 000 euros. Il devrait notamment permettre au chef du Parti social-démocrate (PSD), Liviu Dragnea, d'échapper au principal chef d'accusation le visant dans un procès d'emplois fictifs qui s'est ouvert mardi. Il convoitait le poste de Premier ministre mais a dû renoncer en raison d'une condamnation pour fraude électorale.
Démission du ministre du Commerce et désapprobation internationale
Au lendemain de cette importante mobilisation, le ministre roumain des Milieux d'affaires, du Commerce et de l'Entrepreneuriat Florin Jianu a annoncé sa démission. "Je mets fin à mon activité gouvernementale car c'est ce que ma conscience me dicte", a-t-il déclaré sur sa page Facebook. "Peut-être que cet exemple leur sera utile", a-t-il ajouté à l'adresse des membres du gouvernement à l'origine de la réforme.
Fait inédit, les ambassades des États-Unis, du Canada, d'Allemagne, de France, des Pays-Bas et de Belgique ont exprimé, dans une déclaration commune, leur "profonde inquiétude" devant ce décret qui "sape" les progrès réalisés par le pays dans la lutte contre la corruption.
La Commission européenne a exprimé sa "grande préoccupation". Le Premier ministre lui a répondu, dans un courrier, que "la lutte contre la corruption est l'une des priorités du gouvernement", réaffirmant son "engagement" en la matière.
Dans ce pays pauvre de l'UE qui compte 20 millions d'habitants, le parquet anticorruption a obtenu ces dernières années la condamnation de nombreux élus et hommes d'affaires, lançant des investigations tous azimuts et s'attirant aussi des critiques sur son pouvoir supposé excessif. Les rangs du PSD, au centre de la vie politique depuis la fin du communisme, ont été particulièrement touchés par ces enquêtes.
Le gouvernement a par ailleurs soumis au Parlement un projet de grâce visant environ 2 500 détenus purgeant des peines allant jusqu'à cinq ans de prison, qui pourrait aussi bénéficier à des hommes politiques condamnés.
Avec AFP et Reuters