Un an et demi après son ouverture, le centre d’accueil de migrants installé à Boulogne-Billancourt, affiche toujours complet. Aux côtés des Soudanais qui y sont majoritaires, cohabitent désormais de nombreux demandeurs d’asile afghans.
Il règne un calme étonnant, ce lundi 23 janvier, dans le centre d’hébergement d’urgence (CHU) de migrants, installé à Boulogne-Billancourt, à deux pas de Paris. Il n’est pas loin de midi et une quinzaine de résidents est installée dans le grand réfectoire du sixième et dernier étage du bâtiment pour déjeuner. Devant leurs plateaux-repas, presqu’aucun d’entre eux ne parle et seul le bruit de la télévision résonne dans la salle. Il y a un an et demi, à la même heure, l’ambiance était nettement différente. L’agitation était palpable à chaque étage. Le centre venait d’ouvrir, c’était l’ébullition. Le réfectoire comptait trois fois plus de monde et les plateaux-repas étaient distribués dans un joyeux brouhaha. Pendant que les résidents mangeaient, les bénévoles s’organisaient. Il fallait gérer les sorties à la préfecture, en même temps que les sorties culturelles, l’organisation du ménage et des cours de français.
Aujourd’hui, Hamady Mbodj, le nouveau chef de service du CHU-Jaurès – toujours géré par l’association Aurore – paraît plus apaisé. La porte de son bureau peut rester fermée plus d’un quart d’heure sans que l’un des membres de son équipe ne vienne le solliciter, et les conversations ne sont plus interrompues par des dizaines de sonneries de portable à la minute. "Bon, je dis parfois à tout le monde que je m’absente", confesse Hamady Mbobj en riant. "Sinon, c’est le défilé… Et je ne peux pas travailler. Ne croyez pas que c’est toujours aussi paisible". À l’instar de son prédécesseur, Hamady porte plusieurs casquettes quand il vient travailler : il est à la fois l’administrateur, le confident, le traducteur et le gestionnaire de crise. Il est sur tous les fronts, en permanence.
24 "dublinés" parmi 125 résidents
À son arrivée à la tête du CHU, en mai 2016, 125 résidents occupent le bâtiment, propriété de La Poste. En huit mois, le chiffre n’a pas bougé. Ils étaient 123 à l’ouverture du centre, en septembre 2015. "Nous sommes au complet", précise Hamady Mbodj. Si le nombre d’occupants est le même, le profil des résidents a lui évolué. Il y a un an, seuls des Soudanais et des Érythréens avaient franchi les portes du CHU. On compte désormais des Afghans, des Somaliens, des Tchadiens… Certains sont passés par Calais, d’autres par les campements parisiens démantelés à l’automne 2016. Parmi eux se trouvent des demandeurs d’asile, mais aussi des réfugiés statutaires (ayant obtenu une carte de séjour pour un ou dix ans) dans l’attente de trouver un logement.
Le centre compte aussi 24 "dublinés", du nom de ceux dont la demande d'asile relève – en vertu des accords de Dublin – de la responsabilité d'un autre État. La raison est simple : ils ont laissé leurs empreintes dans un autre pays de l’Union européenne (UE) avant d’arriver en France. "On a aussi constaté que des personnes disparaissaient [du centre] du jour au lendemain" avant le démantèlement de la jungle de Calais [en octobre 2016], explique Hamady. "On apprenait ensuite qu’ils étaient partis vers la 'jungle' [pour tenter de passer en Angleterre]".
"Mais la grande majorité des résidents de Jaurès prennent aujourd'hui très au sérieux leur intégration en France, précise Hamady dans la foulée, comme s’il ne voulait pas rester sur un constat négatif. Il y a en a qui se débrouillent déjà assez bien en français, qui sont de ‘vrais intégrés’". Beaucoup souhaitent apprendre la langue et trouver un emploi.
Hamid, jeune Afghan de 25 ans, arrivé en France, il y a deux semaines, fait partie de ceux-là. "Je ne veux pas aller autre part", explique-t-il, en finissant de manger. "Je suis allé au Centre de La Chapelle. Et maintenant, je veux rester ici". À la table d’à côté, Mohammed Naeem et Mohammed Younas, deux autres Afghans, brandissent tout sourire leur récépissé de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés). Les deux amis ont récemment obtenu le statut de réfugié. "Ils envisagent de faire une fête au centre pour célébrer ça", précise Hamady à leurs côtés. Fiers de pouvoir rester en France, ils s’attèlent à énumérer, en français, tous les grands monuments parisiens qu’ils connaissent, ou qu’ils ont pu visiter depuis leur arrivée : le château de Versailles, le Louvre, la Tour Eiffel, et surtout, le Stade de France.
Le Khartoum-Saint-Germain, l'équipe du CHU
Le foot, évidemment, tient une grande place dans le quotidien des résidents. Fin 2015, le CHU crée donc une équipe de foot : le Khartoum-Saint-Germain. "Nous faisons partie du Championnat de l’intégration et de la solidarité", un tournoi créé en février 2016 et chapeauté par l’association Aurore, explique Hamady. Le principe est simple : réunir des franciliens et des réfugiés autour d’un ballon pour favoriser l’intégration et la mixité. "Quand ils sont tous en short sur le terrain, je vous mets au défi d’identifier les migrants des autres", ajoute-t-il, en riant. On compte déjà 14 équipes dont "Les Dromadaires du Sahara", "Les Scarabées" ou encore "Les Sapés comme jamais". Mais c’est l’équipe de Boulogne qui sort du lot. "Sans vouloir me vanter, on est super fort", précise Hamady, en montrant les deux trophées remportés par le Khartoum-Saint-Germain lors de précédents tournois.
Outre le sport, Hamady a aussi tenu à développer d’autres activités. Il y a les cours de français, bien sûr, dispensés aujourd’hui par des élèves de Science-Po, mais aussi un atelier de théâtre et un atelier cuisine. "Les mois ont passé et on s’est aperçu que les plats de leurs pays leur manquaient. De temps en temps, ils vont donc faire des courses et se mettent à cuisiner ensemble", explique le responsable du CHU. "Quand on voit les Afghans et les Soudanais échanger des recettes et se mettre ensemble aux fourneaux, on se dit qu’à travers la cuisine, on pourrait régler tous les problèmes du monde".
Les problèmes, justement, semblent, a priori, relativement anecdotiques dans le centre. L’équipe du CHU, composé de trois travailleurs sociaux et de huit agents hôteliers, veille à ce que la cohabitation se passe sans accroches. Ici pas question de céder du terrain aux tensions religieuses. "Nous sommes une association laïque, nous prenons en compte la religion de nos résidents [musulmane en grande majorité], mais elle ne dicte pas les règles", précise Hamady. "Bien sûr, nous faisons quelques exceptions. Une fois, un Afghan qui venait de se convertir au christianisme nous a demandé de changer de chambre pour être avec des non-Afghans, pour ne pas subir de pressions". Les membres du CHU ont accepté sa requête.
"On peut rester sans manger, mais pas sans internet"
Si tension il y a, elle se situe plutôt du côté des ordinateurs. "Ce que demandent le plus les réfugiés, c’est une connexion Internet", explique Hamady. Pour parler avec leurs familles mais aussi pour gérer leurs papiers administratifs. Alors quand la connexion Wi-Fi est trop lente ou qu’un résident passe un peu trop de temps sur un des trois ordinateurs du centre, la tension monte. "Un jour, quelqu’un m’a même dit : ‘On peut rester sans manger, mais on ne peut pas rester sans Internet’", se rappelle Hamady. "C’est dire aussi l’importance de leurs smartphones, qui leur sert de lien affectif avec leur pays, mais aussi de bureau : ils y gardent tous leurs papiers scannés", et même d’école, "ils apprennent le français en téléchargeant des cours en ligne".
Et qu'en est-il des relations avec le voisinage ? Il y a un an, les riverains ne voyaient pas toujours d’un bon œil ces nouveaux arrivants. Aujourd’hui, tout se passe bien, assure Hamady. Nous n’avons presque jamais recensé d’incident, à part une ou deux fois. "Au début, les résidents pendaient du linge aux fenêtres pour le faire sécher, les voisins se plaignaient. On leur a expliqué, qu’ici, ça ne se faisait pas trop", raconte de son côté Perrine Dequecker, la chargée de communication de l'association Aurore. Une autre fois, au mois d’août 2016, des riverains se sont plaints du bruit. "Les fenêtres étaient ouvertes. L’incident a été clos en quelques minutes", précise Hamady.
Selon le responsable du centre, la police qui passait deux ou trois fois par jour à l’ouverture du CHU, ne vient désormais que rarement, "et quand ils viennent, ils prennent de temps en temps un café avec les résidents". Hamady s’estime chanceux. "Nous avons eu un peu peur quand nous avons appris qu’un autre centre de réfugiés avait été incendié à Boulogne [en décembre]. Mais, pour l’instant, tout va bien, et je touche du bois pour que ça continue comme ça."