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Syrie : pourquoi les pourparlers de paix se déroulent-ils à Astana, capitale du Kazakhstan

À l'initiative de la Russie, des pourparlers de paix syriens doivent avoir lieu le 23 janvier à Astana, capitale du Kazakhstan, pays peu médiatisé. Pourquoi ce choix ? Quel rôle, quelle influence joue son président, Noursoultan Nazarbaïev ?

Alors qu’une réunion très attendue sur la résolution du conflit en Syrie se tiendra à Astana le 23 janvier à l’initiative de la Russie, avant celle de Genève le 8 février, le choix du Kazakhstan peut interpeller. Pays méconnu et peu médiatisé, le Kazakhstan ne semble pas être a priori une puissance diplomatique de premier plan. Pourtant, son rôle de médiateur, orchestré par son président Noursoultan Nazarbaïev, ne date pas d’hier et s’explique par des calculs géopolitiques, économiques et sécuritaires.

Ancien état satellite de l’ex-URSS, ce pays grand comme la portion d’Europe allant de la France à l’Ukraine (soit 5 fois la France) est encore très lié à la Russie, dont il tire sa langue officielle. Première puissance économique d’Asie centrale, 14e producteur de pétrole et 1er producteur d’uranium au monde en 2016, le Kazakhstan est entouré du grand frère russe au nord, d'une Chine de plus en plus présente par ses investissements à l’est, du Moyen-Orient au sud et de l’Europe ainsi que du Caucase à l’ouest.

Fort de cette position géostratégique, Astana a consolidé son indépendance, obtenue en décembre 1991, par une politique relativement neutre, qualifiée de "multi-vectorielle". En résumé : ne pas dépendre uniquement de la Russie et n’avoir aucun ennemi, notamment en partageant habilement ses importantes ressources énergétiques entre les différentes grandes puissances dont les États-Unis (Chevron et ExxonMobil gérant l’immense gisement de Tengiz) et en attirant une grande variété d’investissements directs étrangers, y compris de la France.

Malgré des failles démocratiques importantes et une corruption omniprésente, le régime kazakh a su se forger une réputation de Monsieur bons offices. Partie prenante dans les principales organisations internationales et régionales occidentales Astana est membre non permanent à l'ONU depuis juin 2016, adhérent à l’OMC depuis 2015, mais aussi membre fondateur de l’Union économique Eurasiatique (UEEA), de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et de l’Organisation de coopération Islamique (OCI)… Ainsi, le Kazakhstan dispose-t-il de tous les titres nécessaires à converser avec les principaux acteurs de l’échiquier géopolitique.

Nazarbaïev, l’homme qui a réconcilié Poutine et Erdogan

À la manœuvre derrière cette hyperactivité diplomatique, l’indéboulonnable Noursoultan Nazarbaïev, 76 ans, président du Kazakhstan depuis 1990. Ce dernier s’est saisi du dossier syrien dès le début du conflit, en 2011. En mai 2015, Astana avait déjà reçu trente membres de l’opposition syrienne, qui avaient signé une recommandation faite aux combattants étrangers de quitter le territoire syrien.

Fin 2016, Astana devient le choix pour les pourparlers prévus le 23 janvier, initiés par la Russie avec le soutien de la Turquie et de l’Iran. Si Moscou et Ankara peuvent aujourd’hui se retrouver autour de la table des négociations, c’est en grande partie grâce aux efforts menés par le président kazakh qui a beaucoup œuvré pour réconcilier les deux chefs d'État turc et russe, Recep Tayyip Erdogan et Vladimir Poutine, qui se défiaient mutuellement depuis la destruction d’un bombardier russe par l’aviation turque à la frontière turco-syrienne en novembre 2015.

Après plusieurs mois de lobbying de la part du dirigeant kazakh, sur fond de sanctions russes contre la Turquie, le président Erdogan a fini, fin juin 2016, par présenter ses "regrets" vis-à-vis de la Russie. "Durant la période de crise de nos relations avec la Russie, Noursoultan Nazarbaïev a rencontré plusieurs fois Vladimir Poutine et nous a montré un grand soutien dans ses discussions avec lui afin de rétablir nos relations. Durant le dernier sommet de l’OCS en Ouzbékistan, il m’a demandé d’envoyer un ambassadeur spécial, ce que j’ai fait", confiait Recep Tayyip Erdogan.

Outre d’importantes synergies économiques, des liens étroits existent entre la Turquie et le Kazakhstan, le peuple kazakh étant d’ascendance et de langue turques (70 % des citoyens du Khazakstan sont originaire de l’éthnie kazakhe, 25 % d'origine russes et 5 % de minorités : tatars, ouzbeks, ouïghours). Le 5 août 2016, Nazarbaïev fut le premier chef d’État à rendre visite à son "frère Erdogan", suite à la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016, et ce, malgré l’injonction faite à l’autocrate kazakh de fermer ses 33 lycées kazakho-turcs du mouvement éducatif Hizmet de Fethullah Gülen, mis en cause dans le putsch.

Une médiation utile pour la Russie et le Kazakhstan

La Syrie constitue un partenaire économique potentiel pour le Kazakhstan, qui avait envisagé la création d’un pipeline en Syrie lors d’une visite à Damas le 5 novembre 2007. Car si le Kazakhstan accueille ce ballet diplomatique, c’est également pour freiner les conséquences néfastes des conflits régionaux sur son économie.

Le Kazakhstan traverse depuis plus de deux ans sa plus grave crise économique depuis son indépendance. En plus de la chute des cours des matières premières, clé de voûte de son économie (75 % des exportations), les répercussions de la récession russe sur le pays, consécutives aux sanctions liées à l’annexion de la Crimée, ont été très importantes (double dévaluation de sa monnaie, le Tenge, forte inflation).

Déjà, lors la crise ukrainienne, Nazarbaïev s’était associé à la médiation du président biélorusse. Tout en prenant la défense de l’Ukraine, le président kazakh a beaucoup milité pour apaiser les tensions entre Moscou et Kiev, à tel point que le président ukrainien Petro Poroshenko a demandé à Nazarbaïev, en juillet 2016, de poursuivre cette médiation.

Pour Nazarbaïev, critiqué et affaibli à l’intérieur du pays, l’activisme diplomatique est aussi une occasion unique de redorer son blason de défenseur des principes d’intégrité territoriale et de souveraineté. En effet, le dirigeant kazakh n’a eu de cesse de s’opposer à toute ingérence étrangère, qu’il craint par ailleurs pour lui-même.

Lutte contre l’islamisme radical, le combat commun de la Russie, de la Turquie et du Kazakhstan

Le renforcement du rapprochement russo-turco-kazakh, s’articule également autour de la question de la lutte contre l’islamisme radical. Dans ce pays à majorité musulmane (70 % de la population pratique un islam de tradition soufi, considéré comme modéré), Nazarbaïev a déployé depuis cinq ans un arsenal juridique encadrant strictement les pratiques religieuses. Bien que musulmans et chrétiens orthodoxes cohabitent en paix et en bonne intelligence – une fierté nationale – plusieurs attentats en 2011, et plus récemment durant l’été 2016, sont venus ébranler la quiétude du pays.

La plus meurtrière des attaques dans la ville de Taraz en 2011, a été revendiquée par le groupe Jund al-Khilafah, une organisation terroriste basée à la frontière afghano-pakistanaise [à ne pas confondre avec "Jund al-Khilafah fi Ard al-Jazaïr" localisé en Algérie, qui avait exécuté le français Hervé Gourdel en septembre 2014). Les circonstances entourant les attaques de l’été 2016 sont beaucoup plus floues. L’attaque d’une caserne à Aktioubé (au nord-ouest du pays) le 5 juin 2016 (7 morts dont 4 civils) a été attribuée à des mouvances islamistes, mais elle n’a pas été officiellement revendiquée. Quant à celle d’Almaty, le 18 juillet (10 morts, dont 8 policiers), elle ne serait vraisemblablement que l’œuvre d’un homme antisystème épris, selon ses dires, de vengeance contre le corps judiciaire. Il n’empêche que, selon le Comité de sécurité nationale khazakh (KNB), plus de 300 Kazakhs (plus de 3 000 centre-asiatiques au total) auraient rejoint les rangs de l’organisation de l’État islamique (EI) et que la question de leur retour effraie les autorités.

Au-delà des enjeux diplomatiques, la tenue de ces négociations de paix syriennes à Astana permet à Nazarbaïev, de plus en plus contesté et de moins en moins populaire dans son pays, d'y asseoir son autorité politique et une aura internationale.