La Commission européenne a fait preuve, ces derniers jours, d'une clémence inédite à l’égard de pays qui ne respectent pas leurs engagements de réduction des déficits. Le début de la fin de l’austérité en réponse à la poussée des populismes ?
La règle d’or a du plomb dans l’aile. La fameuse obligation pour les pays de la zone euro de maintenir leur déficit sous la barre des 3 % du PIB apparaît de moins en moins comme une loi d’airain. Plusieurs décisions récentes de la Commission européennes indiquent une évolution de l’équipe de Jean-Claude Juncker vers davantage de souplesse budgétaire.
Bruxelles ne déclare pas ouvertement que la maîtrise des déficits n’est plus la priorité numéro 1 des États membres de la zone euro… mais presque. L’Italie a écopé d’une simple mise en garde alors même que son projet de budget pour 2017 ne fait que peu de cas des engagements de réduction de déficits. Même chose pour le Portugal et l’Espagne. Depuis plus d’un an, ces deux pays très endettés vivent sous la menace d’une sanction de l’Union européenne qui, officiellement, réclame davantage d’austérité. Pourtant, rien ne vient. La Commission européenne a même décidé, le 16 novembre, de ne pas suspendre le versement d’une aide financière européenne qui, pourtant, est conditionnée à des objectifs chiffrés de réduction de la dette.
Priorité à la relance ?
Chacun de ses pays présente des particularismes qui peuvent expliquer la clémence bruxelloise. L’Italie est à quelques jours d’un référendum crucial pour le gouvernement de Matteo Renzi et un camouflet européen aurait pu faire le jeu des populistes du parti du Mouvement 5 étoiles. L’Espagne a,quant à elle, passé presque un an sans gouvernement, tandis que le Portugal est l’un des pays surendettés qui a fait le plus d’efforts par le passé pour assainir ses finances.
Mais la Commission européenne va encore plus loin. Elle recommande aux États membres pas trop endettés de recommencer à dépenser pour soutenir la croissance. Une première pour Bruxelles qui, depuis le début de la crise de la zone euro en 2010, ne prônait que la rigueur. “C’est le début de la fin de l’austérité en Europe et aussi du cycle des politiques de l’offre”, analyse Pascal de Lima, économiste en chef du cabinet de conseil EconomicCell, contacté par France 24. Cet expert prévoit que le Vieux Continent se convertisse pour un certain temps à des politiques de soutien de la demande et de l’investissement.
“En ces temps de tentation populiste”
Ce virage économique découle d’un constat politique. “La critique [par les populations] de l’absence d’efficacité des politiques économiques actuelles, notamment sur le front du chômage, et de la trop grande ouverture commerciale des frontières a finalement été entendue à Bruxelles”, estime Pascal de Lima. Le vote britannique en faveur du Brexit, l’élection de Donald Trump aux États-Unis – analysés comme un appel populaire au repli sur soi – auraient ouvert les yeux aux membres de la Commission européenne. Pierre Moscovici, le commissaire européen aux Affaires économiques et financières, l’a confirmé en termes très diplomatiques au Figaro : “En ces temps de tentation populiste, il peut être utile de conjuguer la crédibilité (des règles) et l’intelligence (de leur application)”.
La Commission européenne a également profité d'une fenêtre de tir pour lâcher du lest. Le retour de la croissance – aussi légère soit-elle – se confirme en Europe et, surtout, l’Allemagne apparaît moins à cheval sur l’orthodoxie budgétaire. “Berlin a aussi commencé à mettre en place des politiques de relance économique récemment”, rappelle Pascal de Lima.
Ce nouveau cycle économique risque d'engendrer une débauche de dépenses de certains États. La Commission européenne ne peut donc renégocier les règles de maîtrise des dépenses, sans ouvrir la boîte de Pandore. L'enterrement en bonne et due forme de la règle des 3 % pourrait être perçu comme un chèque en blanc. Pascal de Lima rappelle, cependant, que les agences de notation pourront toujours abaisser la note souveraine des États trop laxistes, ce dont la Commission est parfaitement consciente.