!["Swagger" : le charme discret des jeunes de banlieue "Swagger" : le charme discret des jeunes de banlieue](/data/posts/2022/07/21/1658438398_Swagger-le-charme-discret-des-jeunes-de-banlieue.jpg)
Dans "Swagger", Olivier Babinet donne la parole à 11 adolescents d’Aulnay-sous-Bois pour mieux mettre en scène leurs rêves et angoisses. Un mélange de documentaire et de fiction qui révolutionne le film de banlieue à la française. Rafraîchissant.
C’est, paraît-il, à William Shakespeare que l’on doit la première apparition du mot "swagger" dans une œuvre littéraire (en l’occurrence "Le Songe d’une nuit d’été"). Depuis, le terme a fait un long chemin, traversant les siècles et la Manche pour s’implanter dans les cours de récréation françaises. "Swagger" signifie littéralement "fanfaron" mais dans la bouche des adolescents d’aujourd’hui, c’est plus que cela. C’est une attitude, une façon d’être. Avoir le "swag", c’est avoir la classe, le verbe haut et la fringue bien mise. En toutes circonstances.
Comment capter cet état d’esprit sans verser dans la caricature du jeune des banlieues adepte de la sape et du bling-bling ? En jouant sur la part de fantasme que revêt l’attrait des adolescents pour le paraître. C’est en tout cas l’approche du rafraîchissant documentaire "Swagger" que son auteur, Olivier Babinet, a voulu à cheval entre le réel et la fiction.
Le réel du film est assumé par le récit que 11 collégiens d’Aulnay-sous-Bois, dans la région parisienne, font de leur quotidien. Face caméra, Aissatou, Nazario, Aaron Jr., Naïla et consorts partagent leur joie, leur peine, leurs espoirs et leurs désillusions de jeunes gens. Régis confesse ainsi accorder de l’importance à son style vestimentaire afin de se démarquer des autres et, le cas échéant, se faire respecter - à la manière de Barack Obama qui a un "charisme fou" même lorsqu’il marche (alors que François Hollande, "c’est pas trop ça"). Salimata, elle, s’offusque de ce qu’un de ses amis ait invité sa fiancée à dîner "dans un Grec : 5 euros le sandwich, ça manque de romantisme". De son côté, la timide Mariyama aimerait bien ne plus être celle qu’on choisit en dernier quand il faut constituer une équipe pour le cours de sport.
L’amour, la politique et les "Français de souche"
Mais le "swag" n’est pas qu’une question d’apparence ou de comportement, nous révèle la caméra d’Olivier Babinet. C’est aussi ce charme discret et peu assuré de la parole adolescente sur les sujets les plus universels. Invités à s’exprimer sur leur rapport au monde, les interviewés se font les auteurs involontaires de délicieux aphorismes tels "L’amour, ça rajoute un truc à la vie", "Avec la politique, on reçoit pas ce qu’on attend" ou encore "Les architectes des grandes villes, ils font des bâtiments tellement grands que plus personne ne veut vivre dedans."
Même tenus innocemment, certains propos s’avèrent toutefois plus inquiétants, notamment lorsque sont évoqués les "Français de souche que l’on ne croise qu’à Paris". Aissatou assure n’en avoir jamais vus, Régis les considère comme "des personnes normales", Astan doute de pouvoir vivre avec eux. Par un renversement des perspectives, une vérité se fait alors jour : les "autres" ne sont pas ceux que l’on désigne d’ordinaire comme tels. Dans le cinéma français, il est rare que la réalité de la fracture territoriale soit montrée avec tant de force.
L’autre singularité bienvenue de "Swagger" est sa capacité à injecter du faux dans le vrai, Olivier Babinet n’hésitant pas à mettre en scène les rêves et les angoisses de ces 11 intervenants. La vision peu optimiste que se font les adolescents de l’avenir donne ainsi lieu à une saynète de science-fiction où les forces de l’ordre sont remplacées par des drones capables de surveiller l’intérieur des appartements. Ou, moins angoissant, à cette séquence de comédie musicale où Paul, parapluie à la main, se la joue comme Gene Kelly au milieu des étals d’un marché couvert.
Ces embardées vers le cinéma de genre a priori peu compatibles avec le documentaire ouvrent un champ nouveau dans le domaine du film de banlieue trop souvent soumis à la nécessité de coller aux réalités sociologiques. Avoir du style pour "sortir du lot", comme dit Régis. C’est ça, le "swag".