
De violentes manifestations hostiles au président Kabila ont provoqué la mort de dizaines de personnes à Kinshasa entre lundi et mardi. Trois sièges de partis d'opposition ont, en outre, été incendiés.
La République démocratique du Congo (RD Congo) renoue avec ses vieux démons. Human Rights Watch (HRW) a dit mardi 20 septembre disposer d'"informations crédibles" indiquant qu'au moins 44 personnes ont été tuées par les forces de sécurité après de violentes manifestations de l'opposition en République démocratique du Congo (RDC). La police nationale a quant à elle fourni un bilan global provisoire de 32 morts.
"La plupart des victimes ont été tuées lorsque les forces de sécurité ont ouvert le feu sur les manifestants, a affirmé Ida Sawyer, chargé de l'Afrique au sein de HRW. D'autres sont mortes la nuit dernière quand les forces de sécurité ont incendié le siège d'un parti de l'opposition".
La veille, des heurts meurtriers étaient survenus à Kinshasa, où l'opposition avait appelé à manifester pour exiger du président Joseph Kabila qu’il quitte le pouvoir à l'issue de son mandat, le 20 décembre, et convoque l’élection présidentielle dans les temps. Selon la Constitution, mardi 20 septembre est la date limite pour convier les électeurs aux urnes.
Dans la nuit de lundi à mardi, plusieurs partis d'opposition et leur siège dans la capitale étaient en proie aux flammes, dont celui de l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le premier parti d'opposition à l'Assemblée nationale congolaise.
Bidons d'essence
Aux locaux de l'UDPS se trouvent au moins deux corps calcinés et quatre blessés graves, a pu constater Thomas Nicolon. Dans l'enceinte du bâtiment, des bidons d'essence renversés témoignaient du caractère criminel de l'incendie, rapporte également l'AFP.
Au siège des Forces novatrices pour l'union et la solidarité (Fonus), autre parti d'opposition, un militant commis à la garde des lieux a affirmé à l'AFP que le feu avait été allumé aux bâtiments préalablement aspergés d'essence par des hommes armés, en tenue civile, arrivés en jeep à 4 h du matin (heure locale).
"La ville de Kinshasa vient de faire face à un mouvement insurrectionnel qui s'est soldé par un échec", a affirmé à la presse le ministre de l'Intérieur, Évariste Boshab.
Responsabilité
Dénonçant une "dérive totalitaire du régime", la coalition d'opposition a appelé "toute la population à se rassembler" dès mardi "pour poursuivre sans désemparer les revendications" jusqu'au "départ définitif de Joseph Kabila de la tête de la RD Congo".
"L'ordre sera respecté et les honnêtes citoyens seront protégés", a rétorqué le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende, à la télévision publique. Plus tôt, ce dernier avait accusé l'UDPS d'avoir été à l'origine de la violence.

Bruno Tshibala, porte-parole de l'UDPS, le parti du vieil opposant Étienne Tshisekedi autour de qui s'est constitué le "Rassemblement", a accusé de son côté les forces de l'ordre d'avoir tout fait pour que les choses dégénèrent, en empêchant violemment les manifestants de converger vers le point de rassemblement puis en ouvrant le feu sur le cortège.
"Dès que nous avons effectué le premier pas de la marche, nous avons enregistré les premiers tirs [sur le défilé] et nous avons commencé à ramasser des morts", a déclaré Bruno Tshibala à l'AFP.
Des journalistes interpellés puis relâchés
Les violences se sont poursuivies jusqu'en début d'après-midi. Elles ont été émaillées de pillages dans certains quartiers du sud de la capitale. Des incendies criminels ont également visé des bâtiments publics et des permanences de partis de la majorité.
Très véhéments, des groupes de quelques dizaines à plusieurs centaines de jeunes ont affronté les forces de l'ordre sur le trajet prévu de la marche, à coup de pierres, en criant des slogans en français ou en lingala comme "Kabila akende !" ("Kabila dégage !").
Un journaliste de l'AFP a vu la police anti-émeutes tirer à balles réelles sur les manifestants aux abords du Parlement. Sonia Rolley, journaliste à RFI, et un photographe de l'AFP qui couvraient tous deux les événements ont été interpellés à la mi-journée par la police militaire. Frappés à plusieurs reprises, ils ont fini par être relâchés en fin d'après-midi. Auparavant, le photographe de l'AFP s'était fait confisquer les cartes mémoires de ses appareils par des policiers.
#RDC : Nous avons été malmenés, séquestrés pendant près de 5h et je n'en connais tjs pas les raisons. @RFI condamne et attend une enquête
— Sonia Rolley (@soniarolley) 19 septembre 2016Inquiétudes à l’étranger
Arrivé au pouvoir en 2001, Joseph Kabila est âgé de 45 ans. La Constitution congolaise lui interdit de se représenter pour un troisième mandat, mais il ne donne aucun signe de vouloir quitter le pouvoir. Alors que la présidentielle apparaît impossible à tenir dans les temps, le "Rassemblement" refuse le "dialogue national" en cours à Kinshasa entre la majorité et une partie de l'opposition.
Inquiets que la RDC, immense pays au cœur de l'Afrique, puisse retomber dans le chaos qu'elle a connu lors des deux guerres l'ayant dévastée entre 1996 et 2003, plusieurs pays étrangers ont multiplié les mises en garde.
Le ministre français des Affaires étrangères français, Jean-Marc Ayrault, a jugé la situation "très dangereuse et extrêmement préoccupante". "Ce qui compte c'est la date des élections", a-t-il déclaré, "si elles sont reportées sans cesse, cela veut dire que Kabila a l'intention de rester au pouvoir", et "c'est une situation qui n'est pas acceptable".
Son homologue belge, Didier Reynders, a appelé à "la retenue" et incité "tous les acteurs politiques en RDC à œuvrer de manière pacifique pour l'organisation d'élections à brève échéance". Le département d'État américain a exprimé une inquiétude et des recommandations similaires. Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a "exhorté" toutes les parties "à s'abstenir de tout autre acte de violence susceptible d'aggraver la situation".
Avec AFP et Reuters