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Soixante-treize associations d’aide humanitaire ont annoncé jeudi qu’elles suspendaient leur coopération avec l’ONU en Syrie. Elles accusent le régime d’ingérence dans la gestion de l’aide humanitaire dans le pays.

Soixante-treize ONG ont annoncé jeudi 8 septembre qu’elles suspendaient leur coopération avec l’ONU en Syrie. Elles accusent notamment le pouvoir de Bachar-al Assad d’ingérence dans la gestion de l’aide humanitaire apportée dans les zones assiégées.

L’ONU a de son côte indiqué qu’elle continuerait de travailler avec ces ONG, malgré leur décision de se retirer du programme "Whole of Syria", un programme d’échange d’informations sur les opérations humanitaires géré par les Nations unies, et créé dans le but de coordonner les aides afin de répondre à la vaste crise humanitaire que traverse la Syrie.

Depuis le début de la guerre il y a plus de cinq ans, des millions de personnes ont été contraintes de quitter leur domicile, des dizaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants ont été tués ou  blessés, et nombre d'entre eux connaissent la faim et vivent dans des conditions épouvantables, notamment dans les villes assiégées.

Dans une lettre publique adressée jeudi 8 septembre au Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (BCAH), ces 73 ONG ont déclaré qu’il était "devenu évident que le gouvernement syrien exer[çait] une influence importante sur le travail des agences de l’ONU basées à Damas de même que sur leurs partenaires".

Ces agences ont indiqué que le gouvernement syrien avait interféré sur la distribution de l’aide humanitaire à de "multiples reprises", par exemple en bloquant l’acheminement de l'aide vers les zones assiégées et en confisquant le matériel médical de convois humanitaires.

Elles se disent également témoins de l’influence gouvernementale exercée sur certains des partenaires de l’ONU à Damas, en particulier sur le Croissant rouge syrien.

Malgré des efforts pour coordonner l’aide via le "Whole of Syria programme", "les agences de l’ONU et leur principal partenaire, le Croissant rouge, ont pris certaines décisions sous l’influence politique du gouvernement syrien", indique la lettre, signée par différentes organisations dont la Syrian American Medical Society (SAMS) et la défense civile syrienne, des bénévoles non-armés aussi appelés Casques blancs qui viennent au secours des populations après chaque bombardement.

Abandonnés

Contacté par France 24, le président de la SAMS, le docteur Ahmad Tarakji, estime que la situation "s’est détériorée depuis un certain temps". "Dans les zones qui ne sont pas tenues par le gouvernement, de nombreuses personnes dans le besoin ont été complètement abandonnées", a-t-il affirmé.

L’une des principales craintes des ONG réside dans le fait que des groupes militaires font main basse sur les aides acheminées, a-t-il poursuivi. "Des sources non-authentifiées affirment qu'elles sont ensuite distribuées en fonction du degré de loyauté des différents groupes au gouvernement".

Ahmad Taraki a ainsi donné l’exemple du quartier de la Ghouta, une banlieue de Damas tenue par les rebelles, où de nombreuses personnes avaient besoin d’une dialyse.

"La liste des bénéficiaires a été divisée par deux, parce que beaucoup de personnes sont mortes faute de soins, le matériel nécessaire ayant été retiré des convois", assure-t-il, avant d'ajouter : "Je suis choqué. Je ne peux trouver aucune excuse à ce genre de mesures".

Une autre affaire dénoncée par les ONG concerne les frères siamois Moaz et Nawras, nés à la Ghouta en juillet. Ils ont été évacués en août vers Damas – ville aux mains du gouvernement – après un appel lancé par des associations humanitaires, mais "ils ont été piégés en attendant leur traitement", selon les ONG. Les deux bébés sont morts le 24 août, le régime ayant refusé leur sortie du territoire pour subir à l'étranger l'opération du cœur qui aurait pu leur sauver la vie. "Ils sont morts simplement parce qu’ils sont nés au mauvais endroit, au mauvais moment", a regretté le président du SAMS.

"Les ONG syriennes ont envoyé une proposition via le BCAH au Croisant rouge, offrant de fournir un traitement médical, mais nous n’avons reçu aucune réponse", pointe la lettre signée par les ONG.

Les ONG réclament une enquête transparente

La décision rédicale de suspendre la coopération avec les Nations unies intervient après la publication d'une enquête par le quotidien britannique The Guardian, qui accuse l’ONU d'avoir conclu des contrats de dizaines de millions de dollars avec des personnalités proches de Bachar al-Assad, notamment avec sa femme Asma, à la tête d'une association caritative.

Stéphane Dujarric, le porte-parole du secrétariat général de l'ONU interrogé par The Guardian, a admis que les Nations unies étaient bien obligées de coopérer avec le gouvernement de Bachar al-Assad pour pouvoir agir sur le territoire. Mais il a nié une quelconque partialité des actions de l'ONU en Syrie. "Cela discrédite le travail de terrain accompli par les travailleurs humanitaires, pour la plupart Syriens", a-t-il ajouté.

"Notre travail est guidé par les principes humanitaires et les besoins des personnes qui nécessitent assistance, peu importe qui elles sont et où elles vivent", a renchéri Amanda Pitt, porte-parole du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU interrogée par France 24. L'ONU, a-t-elle poursuivi, continuera à "s’engager " avec les ONG "dans le but d’améliorer nos efforts collectifs et de venir en aide au maximum de personnes dans le besoin en Syrie". "Il est vital que nous reconnaissions l’énorme travail des ONG syriennes, qui sont souvent en première ligne pour apporter assistance aux millions de Syriens dans des situations désespérées", a ajouté Amanda Pitt.

Les 73 ONG ont appelé à "une enquête transparente concernant l’influence politique du gouvernement syrien sur la distribution des aides". Elles ont également réclamé la mise en place d’un organe de contrôle pour superviser la coordination à Damas ainsi qu’une révision des procédures d’évacuation médicale.
 

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