Alors que les ordures se sont accumulées pour une troisième journée consécutive sur les trottoirs de Paris vendredi, les représentants CGT des éboueurs de la capitale ont exprimé leur volonté de continuer la grève jusqu’au retrait de la Loi travail.
"Venez demain, vous verrez, ça sera infesté de rats !", s’inquiétait jeudi 8 juin Laurent, le gérant d'un magasin de vêtements dans le Ve arrondissement de Paris, un quartier très fréquenté par les touristes. Vendredi, la situation ne s’est pas améliorée, des kilos d’ordures étaient encore accumulés dans les rues d'une dizaine d'arrondissements de Paris en raison de la grève des éboueurs, à l'appel de la CGT contre la Loi Travail.
"Notre seule revendication est le retrait de la Loi travail, explique Régis Vieceli, le secrétaire général CGT du service de nettoiement de la ville de Paris, contacté par France 24. Nous ne portons aucune revendication spécifique ou catégorielle auprès de la ville, alors que aurions pu le faire." Pourtant celles-ci ne manquent pas. "Notre salaire n'a pas bougé depuis sept ans, on ne s'en sort pas, on n'arrive pas à faire les courses pour quatre alors qu'on va à Lidl hein, pas à Fauchon !", confiait Vincent, un éboueur syndiqué à l’AFP jeudi.
"Gréviste toute la semaine dernière", il a repris le travail car "là (il) a besoin de bouffer", explique-t-il. Pour les collègues comme Vincent, les syndicalistes du service de nettoiement de la ville de Paris ont prévu une "petite caisse commune", raconte Régis Vieceli qui n’est pas prêt à lever le piquet pour autant. "La mobilisation continuera tant que des négociations avec les organisations syndicales et lycéennes en lutte (CGT, FO, FSU, Solidaires, Unef, UNL, FIDL) n’auront pas été ouvertes et que la Loi travail n’aura pas été tout bonnement retirée", affirme-t-il.
Entre 12 et 15 % de grévistes
Depuis le 30 mai, des personnels et agents de la Ville de Paris bloquent l'usine de traitement des déchets d'Ivry-sur-Seine/Paris 13, le plus gros centre de traitement de France, et les camions poubelles ont suivi le mouvement depuis mercredi. Alors que des centaines de milliers de touristes et de supporters sont arrivés dans la capitale à l'occasion de l'Euro, la maire de Paris a annoncé qu'il faudrait quelques jours pour revenir à la normale.
Régis Vieceli estime que les grévistes représentent entre 12 et 15 % des effectifs – 5 000 éboueurs et 600 encadrants - mais, regrette-t-il "la direction de nous donne aucun chiffre sur leur nombre exact". Le syndicaliste promet que pour mardi 14 juin, il y aura entre 35 % et 55 % de grévistes, comme pour chacune des journées de mobilisation nationale contre la Loi travail.
Inquiétude pour le statut de la fonction publique à l’avenir
L’article 2 est le point le plus contesté de ce projet de Loi travail, celui qui crispe particulièrement les cégétistes interrogés. Celui-ci donne la primauté aux accords d’entreprise, alors qu’aujourd'hui c’est l'accord de branche qui s’impose. Dorénavant avec la loi El-Khomri, les syndicats négocieront le temps de travail ou les salaires d’abord au niveau de l’entreprise.
"Le Code du travail ne sera plus la base des négociations, mais ce sera l’accord d’entreprise. Et il y a des entreprises où cet accord n’aura d’accord que le nom", dénonce Christophe Qouderc, secrétaire national de la CGT services publics. "Dans les entreprises où il n’y a pas beaucoup de salariés, pas de syndicats, la relation sera pipée, le patron pourra décider unilatéralement d’éléments importants comme des allongements du temps de travail", estime le dirigeant syndical.
Pourtant la réforme en cours du Code du travail ne modifiera que le statut des employés du secteur privé, ceux de la fonction publique devraient conserver leurs statuts spéciaux. Mais la CGT estime que "le statut de la fonction publique est adossé au Code du travail". "Derrière la nouvelle loi, ce statut sera remis en cause", s’inquiète Régis Vieceli, ajoutant que la lutte des organisations syndicales dépasse le clivage privé/public.
Pourtant, Régis Vieceli voit la Loi travail comme une menace pour un service public pointé du doigt comme un secteur privilégié. Il craint une "mise en compétition avec les entreprises de secteurs privé" et redoute, à terme, des réductions d’effectifs dans les services publics s’ils ne suivent pas le rythme du privé.
La jonction avec "Nuit debout"
En grève depuis presque deux semaines, qu’importe la tenue du match France-Roumanie en ouverture du l’Euro-2016, ce soir Régis Vieceli et ses collègues tiendront le piquet de grève une nuit de plus dans l'usine de traitement des déchets d'Ivry-sur-Seine. Pour l’occasion, ils ont quand même installé un écran et prévu un grand repas. Ils ont aussi invité les cheminots et les grévistes d’Air France à se joindre à eux. Des militants du mouvement "Nuit debout" seront à leurs côtés, comme chaque soir, explique Régis Vieceli. Ils étaient d’ailleurs présents dès les premiers jours de la grève des éboueurs.
En attendant, pour débarrasser ses trottoirs, la mairie de Paris a fait appel aux entreprises privées avec lesquelles elle est en contrat pour aider au ramassage des ordures dans les arrondissements concernés. Elle annonce aussi que quelque 74 bennes à ordures ont pu sortir vendredi matin des garages où elles étaient bloquées ces derniers jours, soit à peu près la moitié des véhicules utilisés pour un service normal. "Il y a toujours un tiers de grévistes, qui ne bloquent plus les garages. Mais nous manquons de conducteurs", a précisé une source municipale.